la cinétique des gaz s’applique-t-elle au Heavy metal ? (hs#28 ANTHRAX, Caught in a Mosh)

Après, Metallica, Slayer et Megadeth, le headbanging science accueille le quatrième larron du Big 4 du thrash américain, j’ai nommé Anthrax, avec un morceau extrait d’Among the Living, leur troisième album, sorti en 1987, Caught in a Mosh :

 

Levons le voile illico : grâce à Anthrax, nous allons parler de physique sur le bLoug, ce qui est une grande première, et plus précisément de cinétique des gaz. Le lien qui vient immédiatement à l’esprit est : « ah ouais, le métal, la bière, donc les gaz… » En fait, non. Caught in a Mosh évoque le fait d’être confronté à un quelqu’un d’irrémédiablement obtus, sur lequel tous nos arguments rebondissent et restent sans effet, ce qui nous donne le sentiment d’être « pris dans un mosh », ou en langage clair, « embarqué dans un pogo ». Pour simplifier, le mosh est en quelque sorte la déclinaison du pogo (danse éminemment punk et individualiste) en une version hardcore et métal (volontiers plus collective). Puisqu’on en est au lexique, vous lirez aussi les termes de « pit » (la fosse), et de « circle pit », qui est une figure particulière dans laquelle les moshers se mettent à courir en cercle.

bandeau anthrax

Deux étudiants de l’Université de Cornell (avec deux de leurs professeurs de physique) viennent de connaître un joli buzz dans la presse outre-Atlantique avec un petit papier qui se propose d’étudier, sous l’angle de la physique, « Les mouvements de foule des moshers aux concerts de Heavy Metal » (c’est le vrai titre de leur commentaire, publié sur arXiv – il ne s’agit pas d’une véritable publi scientifique).mosh pit nice

 

Nos physiciens mélomanes s’attaquent aux :

« foules importantes (102 à 105 personnes) dans les conditions extrêmes des concerts de heavy metal. L’humeur de l’assistance, qui est source de blessures physiques fréquentes, est influencée par une combinaison de musique lourde et rapide (130 dB, 350 bpm) synchronisée avec des flashs de lumière vive, et de fréquentes intoxications. La nature et l’importance de ces stimuli atypiques contribuent aux comportements collectifs que nous allons étudier ici. [renvoi à l’image d’un public de concert, au cas où vous n’auriez pas saisi le tableau]. »

 

Ça commence mal… Sans être désagréable, mieux vaut tout de même rectifier certains détails : les auteurs tirent leurs 130 dB d’une étude datée de 1992, un simple passage dans n’importe quel concert ayant eu lieu ces 15 dernières années aurait pu leur apprendre que le niveau de décibels a sacrément diminué et est strictement réglementé ; je ne sais pas d’où proviennent les 350 bpm évoqués, mais c’est évidemment grotesque (bien qu’humainement jouable) ; les blessures fréquentes sont tirées d’une véritable étude médicale consacrée aux concerts de métal : dans un festival de 4 jours ayant réuni 240 000 personnes, 1,5 personne sur 10 000 ( !) a dû être hospitalisée suite à ses activités de mosh – c’est quand même pas lourd !

mosh pit anim

 

Bref, venons-en au cœur du sujet. À partir de vidéos de concerts sur YouTube, les auteurs ont utilisé un logiciel destiné à l’analyse des particules dans un fluide pour suivre les mouvements de foule. Ils ont observé que les vitesses des moshers avaient la même distribution statistique que celles des particules dans un gaz, dont le mouvement n’est affecté que par leurs interactions avec d’autres particules.

L’équipe a ensuite conçu un modèle, baptisé MASHer, dans lequel chaque mosher est simplifié en un MASHer, une particule au mouvement autonome, capable de rebondir sur les autres, de s’agréger à elles ou de les suivre. Un peu de bruit statistique a été rajouté aux mouvements afin de simuler l’état d’ébriété. Deux types de MASHers sont distingués : les actifs, qui ont tendance à se déplacer, à être en interaction avec les autres particules et soumis à des forces fluctuant aléatoirement (par exemple, si le gars devant sent un peu, vous allez subir une forte envie de vous en éloigner, ce qui est bien vu) ; les passifs, eux, préfèrent ne pas bouger et échapper ainsi aux désagréments des interactions avec les autres particules.

En réglant les différents paramètres de leur outil, par exemple en agissant sur le niveau de bruit ou sur la faculté à former un groupe, les chercheurs ont obtenu quelque chose d’assez conforme à ce qu’on observe dans la réalité : au bout d’un moment, les actifs se trouvent regroupés entre eux, et confinés par les passifs, comme dans un mosh pit. Mieux, sous certaines conditions, ils se mettent à former un cercle et à tourner, une figure également observée dans les fosses et connue sous le nom de circle pits.

Vous pouvez essayer de simuler votre propre mosh pit dans l’outil mis à disposition par les chercheurs.

exemple de simulation de mosh pit

 

Alors, les moshers se comportent-ils vraiment comme des molécules gazeuses ?

Je ne vais pas reprendre les auteurs sur le plan de la physique, j’en suis bien incapable, mais il y a au moins deux choses qui me gênent dans leur démarche.

La première tient à ce que leur modèle n’envisage pas que les particules soient mues par une intelligence et une volonté collectives et soumises à des facteurs externes autres que leur état d’ébriété. Les particules rebondissent les unes contre les autres et s’agglutinent en fonction des lois physiques entrées dans le système. Alors qu’en réalité, c’est précisément ce qu’elles cherchent à faire. L’étude est ici victime de son préjugé de départ : le pit est un agglomérat de débiles défoncés.

Les auteurs estiment que leurs résultats posent une question intéressante et centrale :

“Pourquoi un système en déséquilibre présente-t-il les caractéristiques d’un système en équilibre ?”

 

Je serai tenté de répondre : Pour votre modèle, je n’en sais fichtrement rien, mais pour ce qui est des mosh pits véritables, parce qu’il ne s’agit pas du tout d’un système en déséquilibre. Ce qui ruine totalement l’analogie avec la cinétique des gaz, à mon sens.

Comme on peut le voir ci-dessous, en commençant la vidéo à 1:40 (ou au début si vous aimez Mastodon), un petit circle pit se met en place à un moment bien précis du morceau. Dans la réalité, une partie des molécules de gaz s’entend donc pour bouger de façon cohérente à un moment déterminé, en fonction des signaux reçus de son environnement.

 

La taille du circle pit varie selon le nombre de personnes et c’est le groupe DevilDriver qui détient le record avec environ 25 000 molécules de gaz faisant la ronde. Voici la performance. Comme on peut le constater, tout cela a à peu près autant de rapport avec la cinétique des gaz qu’une ola au stade de France. C’est complètement organisé.

 

Voyons maintenant une figure assez subtilement intitulée Wall of death, sur ce morceau d’Exodus. Vous allez saisir assez vite le principe en regardant cette vidéo, mais ce qu’il faut en retenir, c’est que la mise en place est complètement orchestrée par le chanteur et les molécules gazeuses ne font, là aussi, de façon concertée, qu’obéir à un stimuli extérieur.

 

Pour finir de démonter l’analogie de nos jeunes physiciens, il faut aussi relever qu’il existe un véritable code tacite au sein du pit : les molécules ne font pas du tout n’importe quoi : une personne à terre, par exemple, sera aussitôt relevée ; les filles doivent être respectées ; et tout contrevenant au code sera châtié par le groupe. On est bien loin d’un modèle dans lequel les particules rebondissent les unes sur les autres et sont passivement soumises à des forces aléatoires.

La deuxième chose qui me chiffonne, est la démarche des chercheurs. Leur idée initiale est que le phénomène du mosh pit, ressemble “qualitativement” (i.e., dans leurs rêves) à la cinétique des molécules gazeuses, même si (et c’est eux qui soulignent), les moshers sont des agents qui se déplacent par eux-mêmes… Partant, ils nous proposent d’explorer cette analogie de façon quantitative. Traduisez : « nous allons essayer de bidouiller un programme qui restitue à peu près l’idée de Machin, quand bien même elle est fumeuse. » Quand votre hypothèse de travail prévoit l’existence de quelque chose, il y a de fortes chances que vous trouviez ce quelque chose, du moins quelque chose faisant vaguement l’affaire (franchement, les simulations ne ressemblent pas vraiment à la réalité) et j’ai assez l’impression que c’est à ça qu’on a affaire ici, plutôt qu’à une démarche scientifique véritable.

L’analogie a souvent des vertus. Pas celle de remplacer une démonstration inexistante. Ce buzz sur le mosh me rappelle un peu notre histoire du gars qui comparait Jimi Hendrix et les marmottes, de façon gratuite. On peut comprendre la course au coolest paper ever, mais par pitié, amis chercheurs, vous n’êtes pas obligé non plus de faire dire n’importe quoi à la musique. Vœu pieux, sans doute, car quand je vois que tous les papiers, y compris celui du New Scientist, recopient fidèlement votre communication, sans une once de questionnement, j’ai un peu l’impression d’être Caught in a Mosh moi-même, comme dirait Anthrax. Et de sentir le gaz, finalement.

 

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