danse de la pluie chez les chimpanzés (hs#12: THE CULT, Rain)

Un an de headbanging science ! En cette période (supposément) pluvieuse, le bLoug fête cet anniversaire en vous faisant remuer le popotin avec un titre de saison : Rain. Attention, la chorégraphie dite de la “danse de la pluie” a été inventée par des chimpanzés…

headbanging science #12 : THE CULT – RAIN

 

Morceau emblématique du groupe anglais The Cult, Rain est extrait de leur chef-d’oeuvre de 1985, l’album Love. Comme on le voit dans la vidéo, le groupe n’est alors pas encore sorti de sa chrysalide gothico post-punk. Souvenir d’une époque bénie où le regretté Enfer Magazine pouvait s’aventurer à des prédictions assez hasardeuses : « The Cult risque fort d’être aux 80′s ce que Led Zeppelin fut aux 70′s »…

Mmmh. Ian Astbury et son petit coeur au coin de l’oeil avait fière allure, n’est-ce pas ? En tout cas pas celle du gros Ewok acariâtre en anorak qu’il est devenu. Mais ce n’est pas de ça que je voulais vous entretenir… Vous aurez remarqué la chorégraphie surprenante des deux créatures non identifiées derrière Ian. Sans doute s’agit-il d’une version anglicisée de la danse de la pluie des Indiens Hopi, dont s’inspirent les paroles de Rain : ce peuple d’agriculteurs, n’ayant rien trouvé de mieux que de s’installer dans une région très aride de l’état de l’Arizona, des danseurs masqués devaient prier les esprits de la pluie afin de s’assurer de bonnes récoltes. Ceci pendant 16 jours…

Fatigué de remuer bien avant, le bLoug a préféré dériver et s’interroger sur une question existentielle annexe : les grands singes dansent-ils ou s’agit-il d’une activité proprement humaine ? La réponse est surprenante : la danse fait non seulement partie du bagage culturel des chimpanzés mais ils se livrent en plus à leur propre « danse de la pluie » ! De quoi s’agit-il exactement ? Tentons de dissiper les nuages qui planent au-dessus de cette pratique culturelle assez obscure de nos frères d’évolution.

 

Moi Jane, toi Gene Kelly

On doit l’expression de « danse de la pluie » à la primatologue britannique Jane Goodall, pionnière des observations de terrain sur les chimpanzés des forêts tanzaniennes de l’actuel parc de Gombe. En 1963, dans un article pour le National Geographic intitulé My Life Among Wild Chimpanzees, elle décrit pour la première fois une « danse de la pluie » :

Rain Incites a Violent Ritual

Generally speaking, chimpanzees become more active during the rains and often, for no apparent reason, a male will break into a run, slapping the ground or hitting out at a low branch as he passes. This behavior, when large groups are present, may develop into a fascinating display which I have called the “rain dance.”

I saw it on four occasions, always about midday and always in similar terrain. In every instance it followed the same pattern, but the duration varied from 15 to 30 minutes. It did not always take place in the rain, but rain was falling hard the first time I saw it.

 

Ce rituel de la « danse de la pluie » – décrit comme violent et ne se passant pas forcément sous la pluie ! –, a ensuite été recensé parmi 65 comportements de chimpanzés cartographiés par Whiten et al. en 2001 pour la revue Behavior (Goodall faisant partie des coauteurs). La danse de la pluie est scientifiquement définie ainsi :

Au début d’une forte pluie, plusieurs mâles adultes se livrent à de vigoureuses charges. Dans ces démonstrations, les mâles tendent à retourner à leur position initiale, de façon coordonnée ou parallèle ; les charges peuvent se faire au ralenti aussi bien que de façon rapide et incorporer différents motifs récurrents. Par exemple, marteler le sol, tambouriner sur les troncs d’arbre et les racines, traîner les branches et pousser des cris dits « halètements-hululements » (« pant-hoots »).

(Whiten et al., “Charting Cultural Variations in Chimpanzees”, Behaviour, Volume 138, Numbers 11-12, 2001 , pp. 1481-1516 ; traduction le Bloug)

 

Dis-moi comment tu danses, je te dirai quel chimpanzé tu es

Les auteurs de l’article soulignent que ces danses de la pluie diffèrent des charges d’intimidation habituelles des mâles à l’égard de leurs congénères, ce qui suggère, malgré la testostérone qui s’en dégage, qu’elles ne sont pas liées à une question de domination. Ils relèvent également de nettes différences locales pour ce qui est des motifs présents dans la danse, de son rythme ou du nombre de participants. Ainsi les chimpanzés de la forêt de Taï (Côte d’Ivoire) pratiquent-ils une danse totalement silencieuse alors que ceux des sites de l’Est africain s’accompagnent d’un “chant” bruyant à base de “pant-hoots”. Sur un même site, comme à Mahale (Tanzanie), deux versions peuvent exister : la version vigoureuse et rapide, impliquant plusieurs mâles adultes, et la version silencieuse et lente, n’impliquant qu’un seul danseur.

Ces variations plaident incontestablement en faveur d’une pratique purement culturelle. Du reste, les différentes communautés de chimpanzés ne se rendent pas au dancing à fréquences égales : c’est une activité courante pour la plupart, mais seulement habituelle pour la communauté de Budongo (Ouganda). Quant aux chimpanzés de Boussu (Guinée), ils ne pratiquent pas du tout la danse de la pluie, alors même que leurs conditions environnementales ne diffèrent pas de celles de leurs congénères danseurs… une sorte de variante des gars coincés qui n’osent pas aller sur la piste quand The Cult entame Rain.

 

La grande scène de la cascade, une variante

Le répertoire des chimpanzés comporte une autre danse aquatique, spécifiquement dédiée aux cascades (malheureusement, certains auteurs mélangent souvent les deux phénomènes). La vidéo ci-dessous, nous montre un mâle alpha de Gombe nommé Freud se livrant à une “danse de la cascade”, avec les commentaires de Jane Goodall herself :

 

Contrairement à la danse de la pluie, que les chimpanzés exécutent au début de la saison des pluies, la danse de la cascade ne semble pas liée aux saisons. Elle comporte différentes séquences : un peu de balancement en rythme à l’aide des lianes, puis une séance de jeter de rochers dans l’eau pour finir par une phase plus calme de “contemplation” de la cascade.

 

Alors, c’est de l’art ou du chimpanzé ?

Mais à quoi riment ces gesticulations primates liées à des phénomènes naturels impliquant la pluie ? Autant être clair, on n’en sait rien.

De l’interprétation à la spéculation, la frontière est ténue. Certains propos de Jane Goodall – à qui on a pu reprocher un anthropomorphisme déplacé – peuvent prêter à confusion. Ainsi son “I think chimpanzees are as spiritual as we are”, que l’on peut entendre dans la vidéo, peut-il laisser la place à une interprétation abusive qui ferait du recueillement de Freud (le chimpanzé, pas l’autre) un épisode de méditation d’ordre religieux. Plus généralement, les descriptions des danses de la pluie ou de la cascade par Goodall sont invoquées par certains auteurs comme preuve de la préexistence de l’esprit religieux chez les primates – ce dont on peut raisonnablement douter en l’état des connaissances éthologiques et psychologiques.

 

La danse de la pluie des chimpanzés est aussi parfois appelée à la rescousse pour étayer certaines théories sur les origines de l’art. Voici ce que pense Ellen Dissanayake dans son ouvrage Homo aestheticus: where art comes from and why, paru en 1995.

It has been suggested that in their « rain dance », the chimpanzees are orienting themselves toward à « zone of uncertainty » (Laughlin and Manus 1979), a disturbing or exciting stimulus that is perceived as possibly dangerous. The chimpanzee’s reactions contain germs, albeit relatively unintegrated, of repetition, rhythm, elaboration, and exaggerated motor movements drawn from spontaneous emotional excitement. It is not difficult to imagine other hominoid creatures, with greater mental ability and more control of their behavior, deliberately patterning and shaping their vocalizations into chants, and the tree shaking and stamping into dance steps, thereby relieving their anxiety and, when all is said and done, “controlling” (enutralizing), with ritual, the storm.

En résumé, de la danse de la pluie des chimpanzés, simple réponse émotionnelle à un stimulus environnemental, à une danse humaine, tout n’est affaire que de stylisation et d’intention.

Les aptitudes rythmiques et musicales des grands singes pourraient conforter cette thèse. Cette vidéo du Chimp Haven sanctuary de Keithville (Louisiane) nous révèle le sens du rythme des chimpanzés :

 

Paul Mac Cartney et Peter Gabriel ont pour leur part eu l’occasion de jammer avec des bonobos du Great Ape Trust de Des Moines (Iowa). Peter Gabriel a ainsi expliqué à Panbanisha, une femelle, comment se servir d’un clavier. Dédaignant d’abord l’instrument, Panbanisha s’est ensuite révélée assez douée pour jouer de la musique au bout de trois jours, pas en tapant sur son clavier n’importe comment, mais en exécutant une mélodie reconnaissable.

Du côté du zoo de Saint Louis (Missouri), c’est le son de la flûte qui a été testé sur les pensionnaires. Résultat, des singes calmes et apaisés. Par quoi ? Un CD de musique d’Indiens d’Amérique !

L’histoire ne nous dit pas si la danse de la pluie Hopi figurait dans la tracklist mais si Billy Duffy, guitariste de The Cult et compositeur de Rain, perd l’inspiration, qu’il se rassure : la relève est assurée, du coté des chimpanzés !


 

 

The Cult – Rain, lyrics

Hot sticky scenes, you know what I mean
Like a desert sun that burns my skin
I’ve been waiting for her for so long
Open the sky and let her come down
Here comes the rain
Here comes the rain
Here she comes again
Here comes the rain
Hot sticky scenes, you know what I mean
Like a desert sun that burns my skin
I’ve been waiting for her for so long
Open the sky and let her come down
Here comes the rain
Here comes the rain
Here she comes again
Here comes the rain
I love the rain
I love the rain
Here she comes again
Here comes the rain
Oh, rain
Rain
Rain
Oh, here comes the rain
I love the rain
Well, I love the rain
Here she comes again
I love the rain
Rain
Rain

Le headbanging science va tenter ce mois-ci de vous faire remuer le popotin sous peine de faire pleuvoir. Rain est un des morceaux emblématiques du groupe anglais The Cult, extrait de leur chef-d’oeuvre de 1985, l’album Love. Comme on le voit dans la vidéo, le groupe n’est alors pas encore sorti de sa chrysalide gothico post-punk. Souvenir d’une époque bénie où le regretté Enfer Magazine pouvait s’aventurer à des prédictions assez hasardeuses : « The Cult risque fort d’être aux 80′s ce que Led Zeppelin fut aux 70′s »…

Mmmh. Ian Astbury et son petit coeur au coin de l’oeil avait fière allure, n’est-ce pas ? En tout cas pas celle du gros ewok acariâtre en anorak qu’il est devenu. Mais ce n’est pas de ça que je voulais vous entretenir. Vous aurez remarqué la chorégraphie surprenante des deux créatures non identifiées derrière Ian. Sans doute s’agit-il d’une version anglicisée de la danse de la pluie des Indiens Hopi, dont s’inspirent les paroles de Rain : ce peuple d’agriculteurs, n’ayant rien trouvé de mieux que de s’installer dans une région très aride de l’état de l’Arizona, des danseurs masqués devaient prier les esprits de la pluie afin de s’assurer de bonnes récoltes. Ceci pendant 16 jours…

Fatigué de remuer bien avant, le bLoug a préféré dériver et s’interroger sur une question existentielle annexe : les grands singes dansent-ils ou s’agit-il d’une activité culturelle proprement humaine ? La réponse est surprenante : les chimpanzés pratiquent non seulement ce qu’on a appelé des « danses », mais ils se livrent en plus à leur propre « danse de la pluie » ! De quoi s’agit-il exactement ? Tentons de dissiper les nuages qui planent au-dessus de cette pratique culturelle assez obscure de nos frères d’évolution.

Moi Jane, toi Gene Kelly

On doit l’expression de « danse de la pluie » à la primatologue britannique Jane Goodall, pionnière des observations de terrain sur les chimpanzés des forêts tanzaniennes de l’actuel parc de Gombe. Dans un article pour le National Geographic en 1963, intitulé My Life Among Wild Chimpanzees, elle décrit pour la première fois une « danse de la pluie » :

http://ngm.nationalgeographic.com/1963/08/jane-goodall/goodall-text/22

Rain Incites a Violent Ritual

Generally speaking, chimpanzees become more active during the rains and often, for no apparent reason, a male will break into a run, slapping the ground or hitting out at a low branch as he passes. This behavior, when large groups are present, may develop into a fascinating display which I have called the “rain dance.”

I saw it on four occasions, always about midday and always in similar terrain. In every instance it followed the same pattern, but the duration varied from 15 to 30 minutes. It did not always take place in the rain, but rain was falling hard the first time I saw it.

Ce rituel de la « danse de la pluie », décrit comme violent et ne se passant pas forcément sous la pluie ! –, a été recensé parmi 65 comportements de chimpanzés cartographiés par Whiten et al. en 2001 pour la revue Behavior (Goodall faisant partie des coauteurs). La danse de la pluie est définie ainsi :

Au début d’une forte pluie, plusieurs mâles adultes se livrent à de vigoureuses charges. Dans ces démonstrations, les mâles tendent à retourner à leur position initiale, de façon coordonnée ou parallèle ; les charges peuvent se faire au ralenti aussi bien que de façon rapide et incorporer différents motifs récurrents. Par exemple, marteler le sol, tambouriner sur les troncs d’arbre et les racines, traîner les branches et pousser des cris dits « halètements-hululements » (« pant-hoots »).

Dis-moi comment tu danses, je te dirai quel chimpanzé tu es

Les auteurs de l’article soulignent que ces danses de la pluie diffèrent des charges d’intimidation habituelles des mâles à l’égard de leurs congénères, ce qui suggère qu’elles ne sont pas liées à une question de domination. Ils relèvent également de nettes différences locales pour ce qui est du type de motifs présents dans la danse et de son rythme. Ainsi les chimpanzés de la forêt de Taï (Côte d’Ivoire) pratiquent-ils une danse totalement silencieuse. Alors que ceux des sites de l’Est africain s’accompagnent d’un “chant” bruyant à base de “pant-hoots”. Sur un même site, comme à Mahale (Tanzanie), deux versions peuvent exister : la version vigoureuse et rapide, impliquant plusieurs mâles adultes, et la version silencieuse et lente, n’impliquant qu’un seul danseur. Ces variations plaident incontestablement en faveur d’une pratique purement culturelle. Du reste, les différentes communautés de chimpanzés ne se rendent pas au dancing à fréquences égales : c’est une activité courante pour la plupart, mais seulement habituelle pour la communauté de Budongo (Ouganda). Quant aux chimpanzés de Boussu (Guinée), ils ne pratiquent pas du tout la danse de la pluie, alors même que leurs conditions environnementales ne diffèrent pas de celles de leurs congénères danseurs… une sorte de variante des gars coincés qui n’osent pas aller sur la piste quand The Cult entame Rain.

Whiten et al, Charting Cultural Variations in Chimpanzees, Behaviour, Volume 138, Numbers 11-12, 2001 , pp. 1481-1516

 

La grande scène de la cascade, une variante

Le répertoire des danses aquatiques des chimpanzés comporte une autre danse, spécifiquement dédiée aux cascades (malheureusement, certains auteurs mélangent souvent les deux phénomènes). La vidéo ci-dessous, nous montre un mâle Alpha de Gombe nommé Freud se livrant à une danse de la cascade, avec les commentaires de Jane Goodall herself :

<iframe src=”http://player.vimeo.com/video/18404370?title=0&amp;byline=0&amp;portrait=0″ width=”400″ height=”265″ frameborder=”0″ webkitAllowFullScreen allowFullScreen></iframe><p><a href=”http://vimeo.com/18404370″>Waterfall Displays</a> from <a href=”http://vimeo.com/janegoodallinst”>the Jane Goodall Institute</a> on <a href=”http://vimeo.com“>Vimeo</a>.</p>

 

Contrairement à la danse de la pluie, que les chimpanzés exécutent au début de la saison des pluies, la danse de la cascade ne semble pas liée aux saisons. Elle comporte différentes séquences : un peu de balancement en rythme à l’aide des lianes, puis une séance de jeter de rochers dans l’eau pour finir par une phase plus calme de “contemplation” de la cascade.

 

Alors, c’est de l’art ou du chimpanzé ?

Mais à quoi riment ces gesticulations primates liées à l’eau ? Autant être clair, on n’en sait rien.

De l’interprétation à la spéculation, la frontière est ténue. Certains propos de Jane Goodall – à qui on a pu reprocher un anthropomorphisme déplacé – peuvent prêter à confusion. Ainsi son “I think chimpanzees are as spiritual as we are” que l’on peut entendre dans la vidéo peut-il laisser la place à une interprétation abusive qui ferait du recueillement de Freud (le chimpanzé, pas l’autre) une manifestation de méditation d’ordre religieux. Plus généralement, les descriptions des danses de la pluie ou de la cascade par Goodall sont souvent invoquées comme preuve de la préexistence de l’esprit religieux chez les primates – ce dont on peut raisonnablement douter en l’état des connaissances éthologiques et psychologiques.

La danse de la pluie des chimpanzés est aussi parfois appelée à la rescousse pour étayer certaines théories sur les origines de l’art. Voici ce que pense Ellen Dissanayake dans son ouvrage Homo aestheticus: where art comes from and why, paru en 1995.

It has been suggested that in their « rain dance », the chimpanzees are orienting themselves toward à « zone of uncertainty » (Laughlin and Manus 1979), a disturbing or exciting stimulus that is perceived as possibly dangerous. The chimpanzee’s reactions contain germs, albeit relatively unintegrated, of repetition, rhythm, elaboration, and exaggerated motor movements drawn from spontaneous emotional excitement. It is not difficult to imagine other hominoid creatures, with greater mental ability and more control of their behavior, deliberately patterning and shaping their vocalizations into chants, and the tree shaking and stamping into dance steps, thereby relieving their anxiety and, when all is said and done, “controlling” (enutralizing), with ritual, the storm.

En résumé, de la danse de la pluie des chimpanzés, simple réponse émotionnelle à un stimulus environnemental, à une danse humaine, tout n’est affaire que de stylisation. Les aptitudes rythmiques et musicales des grands singes pourraient conforter cette thèse. Cette vidéo du Chimp Haven sanctuary de Keithville (Louisiane) nous révèle le sens du rythme des chimpanzés :

http://www.youtube.com/watch?v=61c9_avmN9A

 

Paul Mac Cartney et Peter Gabriel ont quant à eux jammé avec des bonobos du Great Ape Trust de Des Moines (Iowa). Peter Gabriel a expliqué à Panbanisha, une femelle, comment se servir d’un clavier. Dédaignant d’abord l’instrument, Panbanisha s’est ensuite révélée assez douée pour jouer de la musique, pas en tapant dessus n’importe comment, mais en exécutant une mélodie reconnaissable. Du côté du zoo de Saint Louis (Missouri), c’est le son de la flûte qui a été testé sur les pensionnaires. Résultat, des singes calmes et apaisés. Par quoi ? Un CD de musique d’Indiens d’Amérique !

L’histoire ne nous dit pas si la danse de la pluie Hopi figurait dans la tracklist mais si Billy Duffy, guitariste de The Cult et compositeur de Rain, perd l’inspiration, qu’il se rassure : la relève est assurée, du coté des chimpanzés !

The Cult – Rain, lyrics

Hot sticky scenes, you know what I mean

Like a desert sun that burns my skin

I’ve been waiting for her for so long

Open the sky and let her come down

Here comes the rain

Here comes the rain

Here she comes again

Here comes the rain

Hot sticky scenes, you know what I mean

Like a desert sun that burns my skin

I’ve been waiting for her for so long

Open the sky and let her come down

Here comes the rain

Here comes the rain

Here she comes again

Here comes the rain

I love the rain

I love the rain

Here she comes again

Here comes the rain

Oh, rain

Rain

Rain

Oh, here comes the rain

I love the rain

Well, I love the rain

Here she comes again

I love the rain
Rain
Rain

JMLL, myopie et révolution

(Kaluchua bonus track #2)

La scène se passe à Paris 7, dans une petite salle où étudiants de L3, M1 & M2 s’agglutinent pour suivre un bref survol de l’histoire de la science par Jean-Marc Lévy-Leblond.

1er temps : pour chauffer les moteurs, JMLL coiffe sa casquette de directeur de collection au Seuil et assure le service après-vente de Kaluchua, de Michel de Pracontal (lire la review ici). La teneur de l’annonce suit celle de la 4ème de couverture et résume bien l’argumentaire de l’ouvrage : une  Révolution scientifique, quasi clandestine, est à l’œuvre, celle de la reconnaissance de l’existence de cultures animales.

2ème temps : une légère accalmie dans le débit de JMLL permet à une séance de questions-réponses de prendre forme ; il s’agit de savoir si la science est vraiment en panne de percées scientifiques majeures, à la sauce Einstein. JMLL tient que oui, et campe fermement sur sa position malgré quelques “mais quand même, il y a eu… ” Certes le génome, certes l’espace, certes Internet. Autant de réussites incontestables qui relèveraient plus d’exploits technologiques et ne seraient pas de même nature que les grandes avancées de l’astrophysique et de la physique. Et Kaluchua ? La Révolution Kaluchua ? Oubliée depuis le début de la séance.

3ème temps : simple oubli “physico-centré” ou véritable volonté de partage entre avancées paradigmatiques et banal tout-venant de la recherche ? Jean-Marc Lévy-Leblond a eu la gentillesse de préciser sa pensée pour le bLoug. Il confesse “un retour de myopie du physicien” à l’origine de l’oubli. Et défend très habilement sa position tout en laissant un peu de place pour que les sciences de la vie puissent tout de même opérer leur “révolution copernicienne” (de Pracontal) : “Ma thèse devrait sans doute être formulée de façon plus souple : pas de révolutions scientifiques depuis les années 1950 en nombre et en importance comparables à ce qu’a connu la première moitié du 20è siècle.”

Ce que révèle cette anecdote, c’est qu’une révolution, ça ne tombe pas tout cuit. Comme l’écrit de Pracontal, la prise en compte de l’existence des cultures animales “reste méconnue de la majorité des chercheurs”, alors qu’il s’agit d’une “découverte majeure, aux conséquences théoriques et pratiques incalculables”, elle est accueillie “comme une nouvelle parmi d’autres”.

 

sur le même sujet : de l’intérêt de l’éthologie en laboratoire – Kaluchua bonus track #1

et le blog de Léely, illustratrice scientifique de talent à qui j’ai piqué le portrait de JMLL, profitant de ce qu’elle était partie à Dakar…

de l’intérêt de l’éthologie en laboratoire

(Kaluchua bonus track #1)

A l’occasion de la review de Kaluchua (lire le post ici), une interview avec l’éthologue Alban Lemasson sur la pratique de son métier et les avantages respectifs de l’observation en laboratoire et en milieu naturel.

"vous croyez que c'est mon comportement naturel, peut-être ?"

Alban Lemasson étudie la communication vocale et la vie sociale des primates au Laboratoire d’éthologie animale et humaine de l’Université Rennes 1 (EthoS). Il s’intéresse particulièrement aux mones de Campbell, dont il étudie les étonnantes capacités de vocalises à la fois sur des sujets captifs et sur des sujets sauvages. “On s’est rendu compte que pour avoir une vision complète de la vie sociale d’un animal, il fallait combiner les deux approches, études en laboratoire et études de terrain”, explique-t-il. Certains labos  pratiquent exclusivement le terrain, d’autres le labo, et certains combinent les deux approches. D’après Alban Lemasson, cela tient aux thématiques mais aussi à des “écoles de pensée, des visions différentes entres labos : les étudiants sont “élevés” (sic) dans un laboratoire et reproduisent ensuite sa façon de travailler”.

"ça, un prédateur ? encore une de tes expériences à la noix..."

Le milieu sauvage offre des contextes d’observation plus variés grâce à la présence de prédateurs, au besoin d’avoir à rechercher la nourriture, à la survenue d’événements (chutes d’arbre) etc. Le contexte social est également plus vaste. Autant d’occasions de stimuler le signal vocal, objet d’étude de prédilection du chercheur.  Le hic, lorsqu’on étudie des singes évoluant dans des frondaisons perchées à 40 mètres de hauteur, c’est que toutes ces opportunités d’observations sont délicates à saisir. En cause, bien sûr, “les contraintes visuelles dues à la densité des du couvert forestier, mais aussi les contraintes de propagation des sons” (les singes ne sont pas les seuls à vouloir s’exprimer là-haut et toutes sortes de bruits ambiants peuvent venir parasiter les enregistrements), et enfin, la mobilité des sujets, qui ont la fâcheuse manie de ne pas rester en place.

L’intérêt des études en captivité va de soi : pas besoin de stage d’acrobranche pour suivre son sujet d’étude. Mais outre ces considérations gymnastiques et pratiques, le laboratoire permet surtout de détailler l’objet de la recherche, “d’avoir une fenêtre d’analyse plus fine”, comme l’explique Alban Lemasson : “au lieu de s’intéresser à de grandes catégories, on peut s’intéresser plus en détail à des postures, des mimiques”, bref à des comportements individuels particuliers (car on identifie facilement les individus en captivité, beaucoup plus difficilement dans la nature).

L’étude en captivité offre un autre avantage : “une plus grande facilité pour tester des situations expérimentales”. Donc pour échafauder des hypothèses et les moyens de les mettre à l’épreuve. On touche là un point-clé de la démarche combinatoire labo / terrain mise en oeuvre par Alban Lemasson :

  1. Le process d’expérience type est en fait initié en milieu naturel où l’on repère un comportement général.
  2. On entre ensuite en laboratoire où l’on peut échafauder des hypothèses plus détaillées. C’est là qu’Alban Lemasson a pu mettre au point un système d’enregistrement télémétrique permettant d’étudier les cris des femelles mones de Campbell et de découvrir leur étonnante plasticité acoustique ainsi que l’existence de “règles de conversation” (respect du tour de parole, attention à la voix des aînées…)
  3. On retourne ensuite en milieu naturel pour retester et valider ces hypothèses dans les populations sauvages. Les recherches d’Alban Lemasson en sont à ce stade.

“Le répertoire vocal des singes est certes génétiquement borné mais grâce aux études en captivité, on découvre que les gênes ne font pas tout et que ce répertoire n’est pas figé.”

"toi, j'te cause pas..."

“Presque tout ce qui caractérise l’humanité se résume par le mot culture” pensait François Jacob. En cherchant les origines du langage chez les primates, Alban Lemasson achève de dynamiter notre vision anthropocentrée de l’animal.

Mais sans provoquer grands heurts, en fin de compte ; s’il y a révolution dans les sciences du vivant, elle opère bien de façon “clandestine”, comme le raconte Michel de Pracontal dans Kaluchua. Alban Lemasson dit généralement rencontrer des gens “ouverts” à ses recherches, d’autres qui suspectaient que les singes avaient un proto-langage mais n’osaient pas en parler, et aussi quelques sceptiques, qui demandent à voir ces résultats répliqués sur d’autres espèces.

Le grand public, lui, est très réceptif, précisément “parce qu’on touche à une espèce proche de l’homme et au cognitif”. S’il y a une réticence, elle est plus pragmatique qu’idéologique : “combien ça coûte et à quoi ça sert tout ça ?” En fin de compte, un terrain très propice à la médiation scientifique.

lire également : JMLL, myopie et révolution (Kaluchua bonus track #2)

tests de culture animale (insane lectures #1)

Une antienne du discours sur la science actuelle la décrit comme stérile en découvertes majeures… Faux ! clame le journaliste Michel de Pracontal dans son dernier ouvrage, Kaluchua : une « révolution copernicienne des sciences de la vie » s’opère en ce moment-même.

Kaluchua est une translittération du mot anglais culture prononcé par les Japonais. Forgé dans les années 1950 par Kinji Imanishi, pionnier des études de terrain sur les primates, ce mot posait l’existence des cultures animales et mettait bas la traditionnelle opposition entre nature et culture.

De Pracontal narre avec talent cette épopée de l’éthologie en mettant en scène de façon rythmée des protagonistes attachants : ces mésanges voleuses de lait, ces baleines chanteuses, ces doctes suricates, ou Imo, cette petite macaque qui bouleversa les habitudes culinaires de ses congénères. Chacun révèle un comportement fascinant et tous nous disent combien la conception mécaniste de l’animal-machine est dépassée.

La force du livre réside aussi dans sa capacité à mettre en scène les scientifiques qui sortirent l’éthologie du laboratoire où elle était confinée. Cette histoire semble nourrie d’antagonismes forts entre chercheurs en laboratoire, qui tiennent l’animal pour un robot biologique téléguidé par ses gênes, et partisans du terrain, qui l’élèvent au rang de sujet, digne de culture.

"Boom boom hok-oo hok-oo krak-oo krak-oo !" ("je lis le bLoug tous les matins")

Qu’en est-il concrètement de cette opposition dans l’éthologie actuelle ? Alban Lemasson étudie la communication vocale et la vie sociale des primates au Laboratoire d’éthologie animale et humaine de l’Université Rennes 1 (EthoS). La geste conflictuelle comptée dans Kaluchua ne cadre pas réellement avec son quotidien. Et pour cause : ce chercheur mène conjointement recherches en milieu naturel et en laboratoire : « Les deux approches sont en fait complémentaires et indispensables » plaide-t-il. Bien plus, l’observation de terrain seule n’est pas la panacée. Prenons les mones de Campbell, singes cercopithèques sur lesquels travaille Alban Lemasson : impossible de savoir si les femelles de cette espèce ont voix au chapitre en milieu naturel car leur cri est très faible. C’est donc en laboratoire qu’Alban Lemasson a pu étudier leurs cris… et découvrir leur incroyable plasticité. « Ces singes ont un répertoire vocal qui n’est pas figé », explique-t-il. « Ils sont capables d’abandonner des cris inutiles et d’en créer de nouveaux : en laboratoire, un cri signifiant ‘alerte homme’ a été inventé pour remplacer le caduque ‘alerte léopard’ ».

Alban Lemasson reconnaît que cette approche mixte n’est pas la norme en éthologie. Il ne rencontre pas de véritable opposition parmi ses pairs mais une propension latente à relativiser l’importance des cultures animales, souligner ce qu’elles peuvent avoir de « simpliste », bref à sauver le soi-disant propre de l’homme.

Kaluchua est sous-titré: « cultures, techniques et traditions des sociétés animales ». N’aurait-on pas pu remplacer « animales » par « scientifiques » ?

Kaluchua, de Michel de Pracontal, Éditions du Seuil, Collection Science Ouverte , 2010, 187 pp., 17€