Dr Paléo et Mr Rock (hs#24 OPENIGHTMARE, Lexomil)

Bigre ! 24e numéro du headbanging science. Déjà deux ans d’improbables rapprochements entre rock et science. Pour fêter cela, un invité de marque ce mois-ci, à qui je vais laisser la parole (j’entends votre soulagement d’ici) au sujet de ses deux passions : le rock et la science. Let’s punkrock. Mais avec méthode.


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Avant de découvrir notre invité-mystère, voyons de quoi il retourne musicalement. Le voici à l’œuvre avec OpeNightmare (“évidemment un (mauvais) jeu de mots scientiste sur le cauchemar qu’a ouvert Robert Oppenheimer”, précise-t-il), son groupe ‘historique’.

Ça secoue bien, surtout pour un morceau qui s’appelle Lexomil. Et il y a un lien avec la science insolite, puisque cette vidéo a été tournée en juillet 2010 sur le “campus spatial” de l’Observatoire Midi-Pyrénées, à Toulouse, dans le laboratoire Géosciences-Environnement Toulouse (GET) :

 

L’invité en question s’appelle Pierre-Olivier Antoine, paléontologue des vertébrés. C’est celui qui cogne sur ses fûts. L’instrument lui va pas mal, je trouve, parce que c’est tout de même un spécialiste mondial des rhinocéros (il a redécouvert Baluchitherium, plus grand mammifère terrestre qui ait jamais existé). Je l’ai découvert à l’occasion d’un papier sur Cuvier en me renseignant sur les signataires d’un état des lieux de la paléontologie française ; il avait les cheveux rouges, c’est lui que j’ai choisi d’interviewer.

Pierre-Olivier  fait partie de l’équipe de Paléontologie de l’Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier. Il enseigne à l’Université Montpellier 2, ainsi qu’au Mnhn.  Le concert ci-dessus était son pot de départ de Toulouse, et l’occasion de faire se rencontrer deux mondes :

J’ai profité de ma fête de départ du labo pour y organiser/imposer un concert d’OpeNightmare, dans le patio central du GET. A fond les manettes et sans la moindre concession ! C’était le lendemain de mon retour de mission de terrain en Turquie, le 5 juillet 2010. On entrait d’ailleurs en studio le lendemain pour l’enregistrement de la batterie (les autres allaient ensuite enregistrer leurs parties de “Unashamedly” [dernier album de OpeNightmare] pendant que je serais parti en expédition en Amazonie [dès le 15 juillet]…). Chouette et mémorable expérience, avec des punkrockers qui venaient pour la première fois dans un labo de recherche et des (enseignants-)chercheurs qui assistaient pour la première fois à un concert DIY  !!!

OpenNightmare et la science fricotent d’autres façons. En direct sur France Inter, Pierre-Olivier est capable de citer ‘les punkrockers de Bad Religion’ dans le texte : “And tomorrow when the human clock stops and the world stops tickin’ We’ll be an index fossil buried in our own debris” (The Index Fossil, Suffer, 1988).

Parolier de OpeNightmare, il aborde parfois des thèmes scientifiques (environnement, nucléaire) et glisse quelques clins d’oeil au milieu des thèmes politiquement engagés plus spécifiques au genre, dont cet admirable : Get ourselves brains and read Darwin again (No Fun Atom, The Harder We Come, 2008).

Enfin, il s’amuse aussi avec les pochettes, qu’il réalise lui-même :

 

Mais assez causé, voyons ce qu’il a à nous dire sur les rapports entre rock et science.

A l’instar de Greg Graffin, chanteur et leader de Bad Religion mais aussi paléontologue et enseignant (lire: l’origine des espèces de punks), tu cumules les activités de rocker et scientifique. Peux-tu nous les présenter ?

Ouah ! Je rosis de la comparaison… Je suis un grand fan de Bad Religion et, par conséquent, de Greg Graffin, même si ma vocation de paléontologue s’est déclarée bien avant ma flamme pour le punk rock (et donc mes premières écoutes du gang californien) ! J’ai eu la chance de poursuivre mes études dans le domaine qui me faisait rêver. Côté paléontologie, tout a roulé plutôt bien dans les deux dernières décennies, entre la fac en géologie à Toulouse, ma thèse de paléontologie des vertébrés au Muséum National à Paris, un post-doc à Montpellier, puis un poste de maître de conférences à Toulouse en 2003 et, pour finir, le Graal du monde académique : depuis 2010, je suis prof à Montpellier 2, dans un labo très dynamique et au sein d’une équipe extrêmement attachante, où l’humain compte beaucoup.

Côté rock, mon père est batteur et mélomane (jazz, blues, rhythm’n’blues et rock). Autant dire que j’ai baigné toute ma vie dans la musique. J’ai commencé à jouer de la batterie à la fin des années 80 (en plein explosion du punk alternatif), avec de multiples influences – partiellement héritées de l’ambiance familiale. Légèrement hyperactif sur les bords et profondément anarchiste (n’y vois pas de lien causal !), je me suis tout naturellement tourné vers le punk rock, mode de vie autant que courant musical, où l’éthique importe plus que l’esthétique (eh oui, y a pas que chez Pouy que « Spinoza encule Hegel »). Je ne m’en suis jamais éloigné depuis lors. J’ai eu plusieurs groupes à l’existence éphémère, mais l’aventure a vraiment commencé avec Feuck (devenu Singaï), entre 1994 et 1997, avec lequel j’aurai enregistré trois démos et enquillé les premières tournées. C’est l’un des groupes stupides les plus diplômés de l’histoire – avec Spinal Tap, évidemment –, puisque Marie (chant) est chargée de com’ au CNRS, Yann (guitare, chant) est docteur de SupAéro et maintenant cadre chez EADS et Mathieu (basse, chant) est chercheur au CNRS (géologue) ! Ensuite, j’ai martyrisé les fûts dans NéoForceps (si si !), un sacré combo de fusion-néométal (c’était l’époque – bien révolue), en y instillant toujours ma touche de pou-ta-pou-ta-pou… Et enfin, la grande histoire d’amour OpeNightmare a commencé tout début 2000. Elle aura duré 12 ans (je viens de jeter l’éponge, pour des raisons strictement matérielles – l’éloignement, le manque de disponibilité) et aussi pour ne pas empêcher Yoorwell et Alexomyl de continuer l’aventure, même si c’est sans moi… On a sorti quatre albums, tourné partout en France et en Europe, vécu des moments complètement fous, et rencontré des individus incroyables de talent, de modestie et d’humanité. En même temps, pendant une période de baisse d’activité d’OpeNightmare (2008-2009), Bruno de RAVI et moi avons monté un duo guitare-batterie « d’emo-crust », un genre qui n’existait pas vraiment. Après six répets avec Ivan Rebroff’s Armpits, on a fait une première démo, puis aligné les concerts, enregistré un album et fait trois tournées en France, en Espagne et même aux USA (2009). Court mais bon !!!

Dans son bouquin Anarchy Evolution, Greg Graffin décrit comment il arrive à alterner ses deux carrières, mais les deux mondes semblent parfaitement étanches. Est-ce le cas pour toi ?

Ca me surprend un peu, mais c’est peut-être lié aux conditions de travail, assez différentes entre USA et France. Pour ne prendre qu’un exemple, aux USA, et en particulier dans de grandes facs comme l’UCLA ou des colleges (le New York Hunter College où mon pote par ailleurs plutôt rock’n’roll Mike Steiper est prof), il est très mal vu qu’un enseignant soit habillé de manière relâchée. La pression de conformité (ça me rappelle le « Corrosion of Conformity » de Bad Religion, ou le « Portrait of Conformity » de mes frères autrichiens Rentokill) est beaucoup moins marquée en France, en tout cas dans les disciplines scientifiques. Peut-être cette licence est-elle due au statut un peu particulier qu’ont ici les « savants fous »… Toujours est-il que je fais cours en baggy, en vans « Germs », en T-shirt des Urinal Mints ou d’An Albatross (l’évangélisation des foules passe par là, que veux-tu !) et en sweat-à-capuche, là encore de groupes que j’aime (High Five Drive, Burning Heads, Rentokill ou Antillectual). J’ai eu les cheveux rouges pendant six ans. Je suis même allé sur le terrain en Turquie et en Amazonie avec sans que ça pose le moindre problème. Pour résumer, ça a toujours été difficile de dissimuler ma double vie !

Autre point commun aux deux vies : faire cours en amphi, c’est se donner en spectacle et se livrer à une audience parfois réticente. Il faut être bon, en forme et littéralement éviter les fausses notes. L’expérience des concerts est d’un apport remarquable dans cette optique, d’autant qu’après 15 ans d’enseignement supérieur, il m’arrive toujours d’avoir le trac avant le premier cours de l’année… Ensuite, ma conscience et mon engagement ne me quittent pas quand je fais cours ou que je dois réfléchir au partage des budgets (dans l’intérêt commun et le soutien aux moins « dotés »). Pendant les mouvements universitaires de 2009 (premières applications de la LRU : modulations des charges des enseignants), où la Fac de Toulouse III a été bloquée des semaines durant, j’ai fait grève pendant neuf semaines. Les rares cours que j’ai donnés étaient soit dans le Jardin des Plantes de Toulouse, soit dans le squat culturel Les Pavillons Sauvages. Avoir fait découvrir ce lieu de culture alternative à des jeunes adultes, tout en enseignant et en respectant le mouvement de contestation restera l’un des plus beaux moments de ma vie d’enseignant-chercheur ! Et on y jouait parfois le soir, en soutien…

La paléontologie française se porte pas mal et jouit toujours de son passé glorieux. C’est un peu moins le cas pour le rock français, non ?

Ça dépend ce que tu entends par « rock français » et par « glorieux ». Si tu t’en tiens aux artistes qui ont pignon sur rue, trombine sur couverture et dont on matraque les titres sur les médias généralistes, alors oui, je ne vois strictement rien à sauver. Je serais même beaucoup plus radical en privé, mais il ne faut pas choquer ton lectorat…

En revanche, si tu prends la peine de sortir dans ta ville, d’aller dans les rares cafés-concerts, salles associatives ou squats qui n’ont pas été fermés dans la dernière décennie, sous la pression inique des maires, des préfets… et des voisins, alors tu vas découvrir une activité débordante complètement insoupçonnable via les media mainstream. Les concerts sont à prix libre, au pire à 5€, avec des artistes sincères, talentueux et pour la plupart bénévoles – je n’ai jamais aimé le terme d’ « amateur » – et revendiquant ce statut de quasi-anonymat. Flying Donuts, Hellbats, Diego Pallavas, Bruit Qui Court ou Face-B, C’EST LE ROCK !

Tu as dessiné le squelette du Baluchitherium. Tu exécutes aussi les pochettes de tes disques. C’est le même exercice de DIY ?

Exactement : le « fais-le toi-même » (ou DIY pour Do It Yourself), c’est le mode de vie dont je parlais tout à l’heure. Dessiner une pochette ou un flyer, aller distribuer des mensuels gratuits pour un peu de promo, se taper 600 bornes par jour en camion, jouer à 4000 bornes de chez toi pour une caisse de bières, organiser un concert avec un groupe slovène génial (In-Sane) pour sept spectateurs ou un festival avec 900 spectateurs (et des groupes tout aussi géniaux) au Bikini, héberger chez toi trois groupes à la fois et faire à manger pour quinze, dont cinq végétariens et cinq végétaliens, c’est le même trip que dessiner une reconstitution de rhinocéros géant, gérer un programme de recherche international en Amazonie, aller dénicher toi-même les fossiles que tu vas étudier, ou s’assurer de ce que tes étudiants sont dans de bonnes conditions pour apprendre leur métier. Quand tu fais toi-même, tu te mets en danger, mais tu en tires tellement de plaisir ! C’est ce que j’appelle « mettre les mains dans le cambouis ». T’es sale et crevé à la fin de la journée, mais t’as provisoirement gagné ton combat contre l’inertie et le défaitisme.

Dans un article de La Dépêche consacrée à ta découverte des plus anciens rongeurs connus d’Amérique du Sud, tu arbores un T-shirt des Ramones (objet du hs#10). C’est quoi le message caché ?

Pas de message subliminable (comme dirait Lofofora). C’était juste le T-shirt que j’avais ce jour-là. Au contraire d’une cérémonie protocolaire à la Salle des Illustres de Toulouse, où – en présence de tout le gratin scientifique et culturel de Midi-Pyrénées – j’avais volontairement mis mon T-shirt « Kill Your Elite », du nom du festival dans lequel nous avions joué à La Maroquinerie, à l’invitation de Till de Guerilla Poubelle. On ne se refait pas.


Greg Graffin a un oiseau fossile qui porte son nom : Qiliana graffini. Ben… et toi ?

Pas encore. Pour l’instant je me contente de nommer des espèces en hommage à mes amis, qu’ils soient paléontologues (Mesaceratherium welcommi, du nom de mon aîné-jumeau Jean-Loup Welcomme) ou pas (Canaanimys maquiensis ou Cachiyacuy contamanensis, en l’honneur de mes quasi-frères de sang « Canaan de Cachiyacu », une communauté native du Pérou amazonien, près de Contamana).

Brian May (guitare) est docteur en astrophysique. Greg Graffin (chant) est paléontologue, comme toi. Tu vois quelqu’un à la basse pour monter un super-groupe de scientifiques ?

Sans hésiter un instant, Mathieu de Singaï (et Snoutbender), le docteur en géochimie, qui coordonne des missions au Kilimandjaro. Un monstre de technique et de toucher. Un sacré groove à 4, 5 ou 6 cordes … et un gars en or.

On pourra toujours reprendre The Show Must Go On, en pou-ta-pou-ta-pou !

150 concerts donnés en France et en Europe avec OpenNightmare VS. 40 missions de terrain comme paléontologue : qui aura gagné à la fin de ta carrière, le rock ou la science ?

Ni l’un ni l’autre : en tant qu’individu, les deux facettes m’auront tout autant enrichi (au figuré, pas en monnaie trébuchante, évidemment). Gageons qu’il restera au moins une toute petite trace de cette hyper-activité. Je crèverai fatigué, mais heureux !

Un grand merci à PierrO pour s’être prêté au jeu malgré une actu chargée (mais ça lui apprendra à trouver des rhinocéros cuits par des volcans).

A voir :

Le site d’OpenNightmare.

Cet article de futura-sciences sur la reconstitution du Baluchitherium

 

Luc Ferry VS. la science: 4 reconversions possibles

Après avoir brièvement raillé notre ami Luc Ferry (grimé en Lieutenant Templeton « Futé » Peck de l’Agence tous risques du climatoscepticisme français), le bLoug souhaitait revenir sur quelques facettes de celui qui fut tout de même ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche (premier et deuxième gouvernements Raffarin, 2002-2004).

Si nous soulignons la Recherche, c’est que ce sont les rapport de Luc Ferry à la science qui nous intéressent ici. Avant de rappeler quelques uns de ses errements médiatiques sur le sujet, nous pouvons poser cette question préalable : était-il bien raisonnable de confier une telle responsabilité ministérielle à un philosophe qui a publiquement défini sa propre profession comme une sotériologie, soit le domaine de la théologie qui étudie les différentes doctrines du salut. La simple juxtaposition des deux termes soulignés constitue un début de réponse.

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Mais puisqu’il n’est plus ministre, voyons comment nous pourrions recaser Luc Ferry, ce génie, à l’examen des ses plus hauts faits d’armes.

1. Chroniqueur littéraire… du néofinalisme

“De tous les livres dont j’ai parlé cette année, c’est celui que je vous recommande le plus.”

Mais quel est ce chef d’oeuvre, me demanderez-vous. Nul autre que celui de Jean Staune, La sciences en otage. Le philosophe-chroniqueur s’était fait un plaisir d’en faire la promo lors de sa chronique hebdomadaire sur LCI en juillet 2007, en insistant sur l’objectivité et sur l’honnêteté de l’auteur dans la présentation d’un certain nombre de grande controverses, particulièrement celle sur le climat (voir le point 4). (Ca y est, vous avez fini de rire ? Poursuivons.)

Tapez « Luc Ferry science » dans Google (c’est une simple suggestion, ne vous croyez pas obligé d’avoir ce genre d’activité inepte), vous aurez une liste de résultats assez surprenante, dans laquelle à des chances de bien figurer le site de Jean Staune (4e position chez moi). On apprend ainsi, à propos d’un autre ouvrage de Staune, Notre existence a-t-elle un sens ? (ne l’achetez pas, la réponse est oui pour l’auteur), que notre piètre critique s’était déjà fendu d’un : « C’est à la fois un formidable livre d’introduction aux sciences contemporaines, mais aussi une réflexion sur les rapports de Dieu et de la science, un très beau livre. »

Des éloges qui ne surprendront pas lorsqu’on sait que Ferry a eu le bonheur de pouvoir dispenser son savoir à l’Université Interdisciplinaire de Paris (UIP), présidée par Staune (ce n’est d’ailleurs pas une université et elle n’a certainement pas pour objectif de diffuser et confronter les savoirs comme elle le prétend).

Mais le constat d’un échange de bons procédés masque une convergence bien plus profonde. On peut la comprendre à l’examen de la thématique du cours de Ferry à l’UIP, intitulé A la Recherche de Fondements pour notre Temps, et résumé ainsi sur son site :

La religion a régenté, des siècles durant, l’organisation de la société, définissant les normes comportementales des hommes. Aujourd’hui, notre civilisation place la liberté de pensée et d’action au-dessus de tout. Ce refus de normes imposées ” a priori ” rejette ainsi la religion dans la sphère privée. Mais comment pouvoir fonder une éthique de vie si l’homme n’est que le produit d’une histoire strictement contingente ? S’il n’est qu’un ensemble de molécules ? Comment trouver une sagesse pour notre temps, une spiritualité qui puisse être acceptée par une majorité de nos concitoyens ? Il semble que cela ne puisse être construit qu’à travers une conception non réductionniste de l’homme, qui reste encore en partie à préciser.

Ce qui unit les deux personnages, l’anti-darwinien notoire et l’ex ministre de la Recherche (du salut) , est une quête de sens. Soit, une posture de philosophe chrétien assez banale du côté Ferry, et chez Staune, rien d’autre qu’une entreprise organisée d’intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en sciences, pour reprendre le titre de l’indispensable ouvrage dirigé par Jean Dubessy et Guillaume Lecointre (Syllepse, 2001) dans lequel les agissements de l’UIP sont décortiqués (une version d’un texte de Lecointre étant consultable en ligne sur le site de l’AFIS).


2. Poète… de l’anti-écologie libérale

“Le GIEC, c’est un groupement où sont cooptés des patrons d’associations qui sont souvent des idéologues écologistes”

Flirtant sur une mode anti verts à base d’appréciations de haut vol telle que « l’écologie est une affaire de “bobos”, pour ne pas dire d’intellectuels », Luc Ferry entretient ici une confusion très prégnante dans le grand public autour de la nature du GIEC, qui ne serait rien d’autre qu’une machine onusienne à autoentretenir le business de l’alarmisme «réchauffiste».

C’est évidemment totalement faux et mensonger. [Aussi n'est-il pas inutile de rappeler que le GIEC, en tant qu'organisme, salarie moins de dix personnes. Il ne produit aucune recherche – et n'a donc aucune position à défendre. Les centaines d'auteurs qui participent à ses groupes de travail et élaborent ses rapports ne font que synthétiser les connaissances scientifiques, dans un processus transparent auquel les sceptiques participent s'ils le souhaitent. Ces auteurs font partie des meilleurs scientifiques de leurs domaines, ne sont pas rémunérés par l'ONU et sont renouvelés pour partie d'un rapport sur l'autre.]

Pourquoi ces contrevérités ? Parce que Ferry est lui-même essentiellement mû par des considérations idéologiques, comme une bonne part des climatosceptiques français qu’il ne cesse d’épauler. Assimilant écologie et gauchisme, il fait de la défense du libéralisme à tout crin cher à son camp une croisade anti-verts personnelle.

Pour vous en convaincre, je ne saurais trop conseiller ce “débat” : Quelle écologie pour aujourd’hui ? entre Ferry et Nathalie Kosciusko-Morizet. D’abord parce que c’est une des rares occasions qui vous sera donnée de trouver cette dernière presque sympathique tant elle semble consternée par les arguments de son contradicteur, ensuite parce que s’y étalent tous les préjugés de Ferry ainsi que les contre-vérités de la propagande sceptique.

 

3. Jury de thèse… en musicologie

« Je les aime vraiment fraternellement »

(Luc Ferry à propos des Bogdanov, dans l’émission Face aux Français, 05/10/2010)

Je ne me hasarderai pas ici à dénouer les fils du scandale permanent que constituent tant les ouvrages des Bogda que leurs prétention à faire œuvre de science, non plus que je ne m’aventurerai à décrypter les liens qui les unissent de longue date à notre Rastignac de la philo, perpétuellement ceint d’un halo de collusion entre pouvoir, médias et amitiés.

Dans le cadre de notre atelier de reconversion, je me contenterai donc de mentionner ces faits :

  • Luc Ferry a assisté à la soutenance de thèse des frangins (source Le Parisien)
  • Un rapport interne du comité national du CNRS flinguant proprement lesdites thèses a curieusement été enterré en novembre 2003 (voir ce dossier de Marianne)
  • A cette date, l’ami de toujours était en poste au Ministère de tutelle dudit CNRS.

Quelques doutes pouvant être émis quant à la capacité de Luc Ferry à juger de la qualité d’un travail en mathématiques ou en physique, nous lui suggérerons donc un tout autre domaine d’étude : la musicologie. Sur la seule base de ce souvenir de vacances d’un Bogda, tiré d’un papier du Nouvel Obs du 23 juin 2011 :

“On faisait de la guitare sur le port (Port-Grimaud), il (Luc Ferry) chantait “les Sabots d’Hélène”.

Une émotion immodérée m’étreint lorsque je tente de me figurer cette scène charmante.

 

4. Chercheur… en économie du travail

« J’ai beaucoup de travail »

Cette saillie drôlatique fut prononcée par Luc Ferry pour sa défense à l’occasion de la révélation de ses légers manquements à l’éthique professorale : Professeur de philosophie à l’université Paris-Diderot (Paris-7) depuis 1996, notre étourdi n’y aurait en fait jamais mis les pieds, bénéficiant suite à ses aventures ministérielles d’une mise à disposition auprès du Conseil d’analyse de la société (CAS) de 2005 jusqu’en septembre 2010, avant que la loi sur l’autonomie des universités rende cet arrangement caduc (un rappel de l’affaire avec cet article du Monde).

Incroyable mais vrai, le Ministère de l’enseignement supérieur a alors proposé de fournir au philosophe une « délégation du CNRS », c’est-à-dire un nouvel arrangement le dispensant de tout service d’enseignement pendant 6 mois ou un an consacrés à une activité de recherche au CNRS.

L’histoire ne dit pas ce que notre philosophe aurait bien pu chercher, mais Matignon s’est finalement prestement chargée de rembourser Paris-7 des 4 499 euros net mensuels indûment versés à partir de 2010 (pour 192 heures d’enseignement annuelles seulement…).

Valérie Pécresse (Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche à cette date) se chargea de clôre l’affaire d’un brillant :  « il n’était pas payé à ne rien faire. »

Elle avait raison. Rien qu’en 2009, par exemple, Luc Ferry a tout de même publié 5 ouvrages ! Et faire les plateaux de télé pour les vendre, ce n’est pas de la tarte, figurez-vous.

 

les livres dont j’ai parlé cette année, c’est celui que je vous recommande le plus. »

“l’homme descend du singe”: ce que pensent certains étudiants (2)

Nous avons vu précédemment ce que  les étudiants de BTS de notre échantillon pensent être les faits concernant la parenté homme / singe (rappel des résultats) Voici maintenant, pour chaque catégorie de répondants, ce qu’ils pensent spontanément de l’expression “l’homme descend du singe” ? Décryptage d’un discours souvent flou globalement épargné par les considérations religieuses.

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Synthèse

Une courte synthèse de ces résultats pourrait être celle-ci : pour les étudiants de BTS interrogés l’expression l’homme descend du singe est familière. Que ce se soit en bien ou en mal, elle renvoie de façon assez lointaine et diffuse à l’évolution ou à Darwin. Elle éveille par contre assez largement des « réflexes » de recherche de similitudes probablement acquis en cours de SVT, mais l’interprétation de ces similitudes trahit une incompréhension ou une méconnaissance des mécanismes évolutifs (s’il y a beaucoup de similitudes, alors, oui, c’est que l’homme doit descendre du singe…). Il y a une curiosité réelle par rapport à l’affirmation, mais, faute de bases suffisantes, pas suffisamment d’esprit critique permettant de résoudre seul ses interrogations. En conséquence, la posture est purement attentiste : la science doit me dire si c’est vrai ou pas, et c’est à peu près tout ce que j’ai besoin de savoir pour dissiper la confusion. Les étudiants antiévolutionnistes sont en proportion relativement limitée et émettent des doutes liés à des carences épistémologiques plutôt qu’une opposition ferme liée à des convictions religieuses. Nous ne devrions pas nous réjouir de la faiblesse du militantisme créationniste dans notre échantillon, mais plutôt appeler à la vigilance. Compte tenu des lacunes constatées sur les mécanismes évolutifs, il est en effet douteux qu’aucun de ces étudiants soit en mesure, par exemple, de réfuter la rhétorique frauduleuse de l’Intelligent design s’il s’y trouvait confronté. La notion de dessein est certes complètement absente des commentaires. Mais le concept de sélection naturelle, entre autres, l’est tout autant.

Détail: Quelques considérations transversales

Dans l’ensemble, les étudiants répondent avec sérieux à la question posée et transmettent du mieux qu’ils peuvent ce que leur suggère l’expression. Peu saisissent l’occasion d’une blague facile et ceux qui le font essayent d’être un peu plus originaux que les messages qu’on trouve habituellement sur les forums (« L’homme ne descend pas du singe, mais du mouton ». Cela change un peu du sempiternel singe qui descend de l’arbre).

À quoi renvoie l’expression le plus souvent ? Pas à Darwin ! Seuls 12 étudiants (environ 10 %) mentionnent le nom du savant britannique ou le darwinisme. Si l’on part du principe que l’homme descend du singe est un raccourci frauduleux des idées de Darwin, on se trouve assez loin de la vérité dans la mesure où… Darwin n’a pas l’air vraiment connu (ou, au choix, a été supplanté par la popularité de la formule qui lui est imputée). Pour ceux qui le mentionnent, le lien de « paternité » n’est pas forcément établi, mais quelques-uns assimilent bien directement la théorie de Darwin à l’idée que l’homme descend du singe (« Si l’on en croit la théorie de Darwin, oui l’homme descend du singe »). Peut-être aurons-nous un peu plus de succès avec la notion d’« évolution » ? À peine. Seulement 27 occurrences du terme parmi les commentaires ! C’est incroyablement peu (un étudiant sur cinq) pour un supposé raccourci universel de la théorie de l’évolution.

De quoi, donc, est-il massivement question à travers les réponses des étudiants ? De ressemblances. Ou plutôt de « similitudes », pour utiliser le mot qui revient comme un leitmotiv. Tout y passe : similitudes physiques, comportementales, psychiques, sociales…

Cette quasi-absence de la figure de Darwin, cette faible présence de la théorie de l’évolution et enfin ce recours quasi systématique à la recherche de points communs ne sont bien entendu pas fortuits. Ils reflètent certainement la façon encore incomplète dont est enseigné l’évolutionnisme au collège et au lycée. Impossible de savoir quel enseignement des SVT ont connu ces étudiants, mais voici ce que dit Corinne Fortin du programme de 1994 dans une réponse faite à une enseignante sur le forum Forum National de SVT :

« La démarche pour justifier de la parenté était fondée sur les similitudes de l’organisation du vivant au niveau cellulaire, anatomique, génétique. En vertu du partage des similitudes chez les différentes espèces, l’idée d’une origine commune était prononcée comme une évidence. »

Une chose est claire, la quête de similitude demeure au centre de la pédagogie. Il est patent, chez nos étudiants de BTS, que le réflexe a persisté. En voici un aperçu :

« Je suis d’accord avec cette expression, on voit bien en observant les singes qu’il y a énormément de similitudes, pas réellement physiques, mais dans certaines manières » ; « L’homme et le singe ont un ancêtre commun, d’où découlent des similitudes comme le mode de vie en société ou l’application de règles sociales » ; « Le singe est l’animal qui ressemble le plus à l’homme physiquement ; l’homme est une évolution du singe, il se tient plus droit, il a moins de poils, il se tient debout alors que le singe est plus courbé, ne se tient pas beaucoup debout… le singe est intelligent et vit en société, comme l’homme, mais l’homme travaille plus son cerveau en l’éduquant ».

Cette dernière citation ressemble à s’y méprendre à un effet pervers de la pédagogie développée : la recherche de similitudes vire à la performance, c’est à celui qui en débusquera le plus ! (certains paléontologues se reconnaîtront peut-être aussi dans ce travers…)

Second écueil de la méthode, l’existence de similitudes ne prouve en soi aucune parenté. Ce dont témoigne Corinne Fortin (à la suite de sa réponse précédente) :

« Pour les élèves, le fait de partager autant de similitudes n’est pas nécessairement compris comme un argument en faveur d’une origine commune. L’obstacle qu’ils rencontrent n’est pas d’ordre pédagogique, mais bien épistémologique, c’est-à-dire intimement lié à la construction du savoir scientifique. Un retour à l’histoire des sciences nous rappelle que Cuvier et les fixistes utilisaient ce même argument du partage des similitudes pour justifier de la fixité des espèces. »

Exemples pris chez nos étudiants de BTS :« Les similitudes entre l’ADN humain et celui du cochon sont nombreuses, certaines greffes ont même été réalisées, ce n’est pas pour autant qu’il y a un lien de parenté ». Cette autre opinion particulièrement alambiquée révèle une confusion totale sur les interprétations de ces similitudes : « Beaucoup de similitudes ont été détectées entre l’homme et le singe ; ils semblent donc avoir un ancêtre commun, mais l’évolution semble aussi jouer un rôle concret dans leur descendance… [série de points d'interrogation marquant l'incompréhension] »

Comme l’explique Corinne Fortin, montrer n’est pas démontrer, et l’apprentissage des mécanismes évolutifs fait défaut pour comprendre ce qui est montré :

« Bien sûr, les difficultés épistémologiques rencontrées par les élèves ne seront pas gommées, de facto, par la présentation des mécanismes évolutifs. Mais, les schémas mentaux erronés qu’ils ont, en particulier, sur la sélection naturelle (ex. : la loi du plus fort, la lutte pour la survie, etc.) pourront à cette occasion être rectifiés. Les élèves disposant de quelques éléments explicatifs (et pas seulement descriptifs) seront, plus à même, du moins faut-il l’espérer, dès la classe de seconde, d’avoir un premier regard critique sur le discours créationniste. »

Concrètement, concernant la recherche de similitudes, il s’agit de faire comprendre aux élèves qu’elles s’inscrivent dans un processus à deux étapes : d’abord d’un pari sur une parenté que l’on peu perdre ou gagner, et ensuite seulement, si le pari est gagné, d’un résultat ayant valeur de preuve phylogénétique.

Examinons maintenant les commentaires des répondants à notre questionnaire en fonction de la réponse qu’ils ont apportée à la question de connaissance.

 

Détail – commentaires par catégories de répondants

• « Je refuse de répondre à cette question » — 2 %

Seuls trois étudiants ont refusé de répondre à la question. Le motif de l’un d’eux est sans ambiguïté religieux et ouvertement suspicieux à l’égard du savoir établi : « Rien ne nous dit que la vérité est celle que l’on nous dit et redit. Cette expression est la contradiction totale de la Bible et cela suscite de réels problèmes entre chrétiens et scientifiques. » Le motif de refus des deux autres n’est pas suffisamment clair pour être lié à des convictions religieuses.

 

• « Je ne sais pas » – 12 %

Qui sont les étudiants qui ne savent pas (ou le prétendent) ? Parmi les 15 personnes avouant sécher sur le sujet, une seule apporte un commentaire qui exprime un doute lié à des croyances religieuses (et il s’agit bien de doute, puisqu’elle aurait pu cocher l’une des deux réponses niant l’évolution en cas de conviction plus affirmée) :

« J’ai longtemps entendu que l’homme descend du singe ; jusqu’à un certain âge, j’y ai cru, car des historiens ont démontré des similitudes entre eux. Or aujourd’hui, je suis dans le doute, car si l’homme descend du singe cela revient à remettre en cause la création de l’homme par Dieu ».

Les autres ont, pour la plupart, de réelles interrogations sur la question et estiment n’avoir pas les cartes suffisantes en main pour trancher. D’un individu à l’autre, la balance pourrait pencher d’un côté ou de l’autre :

« Nous sommes des mammifères ressemblant beaucoup aux singes. Les espèces ont évolué. Même l’espèce humaine continue à évoluer. Alors pourquoi pas. » « Je ne pense pas que nous descendions du singe en lui-même, peut-être d’une forme de primate plus évolué. La théorie de l’évolution est et sera toujours très controversée. Pour ma part, mes connaissances dans le domaine scientifique ne sont pas assez précises pour que je me prononce sur le sujet. » « Je suis un singe en fait ; c’est incroyable, comment un singe peut-il devenir un homme ? »

Pour ces étudiants en pertes de repères, c’est plutôt la science qui est prise en défaut :

« Les recherches prêtent à confusion », « Cela s’est passé il y a longtemps et les solutions à cette question peuvent être multiples »

… Mais il est vrai que leur registre de preuve est parfois un peu particulier : « L’humain mange des bananes comme les singes » !

Enfin, d’autres étudiants soulignent que l’expression est fausse, mais ne trouvent manifestement pas chaussure à leur pied dans les autres réponses proposées.

• « Aucune des trois premières propositions : les espèces n’évoluent pas » – 4 %

Attaquons-nous aux étudiants qui ont nié l’évolution en bloc. Ils ne sont que cinq et leurs commentaires ne surprendront pas :

« C’est absurde, l’homme est créé par Dieu. Cette expression n’est pas fondée. Certes, le singe nous ressemble, mais nous ne descendons pas de lui » ; « ce n’est qu’une expression, l’homme ne peut pas être identifié à un animal ». On retrouve l’argument préféré du créationnisme : « Je ne suis pas de cet avis. Le singe existe encore aujourd’hui ».

Similitudes, ressemblances, d’accord, mais parenté et évolution, pas question. Chez une personne, on voit poindre un doute très honnêtement exprimé : « Lorsque j’entends cette phrase, j’ai tendance à vouloir y croire, mais ma religion me dit le contraire. Mais j’avoue qu’il y a une très grande ressemblance entre les deux. » Qui a dit que l’expression l’homme descend du singe était forcément nocive ? Dans ce cas précis, elle suffirait presque à convaincre de la réalité de l’évolution !

 

• « Aucune des trois premières propositions : l’évolution des espèces ne concerne pas l’homme » – 15 %

Qu’en est-il de nos antiévolutionnistes sélectifs, ceux qui pensent que l’homme mérite une dispense compte tenu de son statut d’exception ? Parmi eux, seuls cinq (sur 22) font valoir une création divine de l’homme, avec une conviction très variable :

« L’homme ne saurait descendre du singe, il y a un Dieu créateur qui a créé l’homme » ; « plusieurs motifs nous font penser que c’est la vérité, plusieurs preuves… mais il y a aussi la religion ».

À nouveau, chez certains de ces croyants, on sent poindre un tiraillement authentique entre leurs croyances et leur volonté d’en savoir plus, comme cet étudiant qui aimerait vraiment avoir le fin mot de l’histoire (mais n’a pas assimilé les principes de base de l’évolution) :

« Il faudrait que l’on sache un jour qui fut présent en premier et savoir réellement lequel est né de l’autre. Cette phrase ne serait-elle pas une façon de contrer la religion et ainsi de prétendre la non-existence de Dieu en reniant ainsi le père Créateur ? Et puis pourquoi certains restent singes ? Sommes-nous au départ un singe et on tire ensuite à pile ou face ? »

Chez ceux qui ne laissent transparaître aucune conviction religieuse, on trouve un certain nombre de remarques indignées : la parenté simienne dérange, manifestement, et cela seul suffit à décréter que l’homme n’évolue pas. Pour ces victimes de nos représentations anthropocentriques, chacun chez soi, les singes dans l’arbre et l’évolution sera bien gardée :

« L’homme est un être humain et le singe un animal » ; « Je ne pense pas qu’un animal puisse engendrer un être humain » ; « La ressemblance est forte, mais je ne crois pas à cette théorie ; néanmoins, le singe reste un animal doté d’intelligence, parfois même surprenant » (Merci pour lui).

Une bonne façon de contourner le problème est d’expliquer que la similitude était surtout vraie pour notre véritable ancêtre, encore mal dégrossi, qui ressemblait un peu plus à un singe :

« Les deux espèces n’ont rien en commun, c’est juste que l’homme préhistorique a des ressemblances avec le singe, mais avec l’évolution des races, l’homme a changé » ; « Ce n’est pas cohérent, l’homme descend d’une espèce disparue, l’homme de Néandertal, tandis que le singe est toujours un primate avec une intelligence qui est restée pauvre » (encore merci).

On soulignera ici que le terme de préhistoire, l’homme de Néandertal, celui de Cro-Magnon, Lucy, etc. sont des objets aux contours flous – et que les chercheurs qui s’attachent à démontrer que l’homme descend du singe sont des « historiens » (paléontologie ne fait pas partie du vocabulaire ; par ailleurs, pour rester sobre sur l’orthographe, ma préférence va à l’« hostralopitec »).

Pour en terminer avec ce groupe d’étudiants, il faut noter deux commentaires qui nous renvoient à la connotation raciale de l’expression :

« Cette phrase a une connotation raciale », « Cela conduit à stigmatiser l’homme noir »

 

• « L’homme descend du singe » – 32 %

Autant le dire franchement, le tiers d’étudiants qui pense que l’homme descend du singe est parfaitement à son aise avec cette inexactitude, et ce de façon très homogène. « C’est scientifiquement exact ». Ce sont des « études » ou des « ouvrages » qui le disent. « C’est véridique, l’homme est une évolution du singe. Nous venons tous du singe. »

Pour la plupart, cette conviction procède essentiellement d’une chose : les similitudes. Ce sont d’abord elles qui montrent que l’homme descend du singe :

« Les études scientifiques ont pu prouver que l’anatomie humaine est semblable à celle du singe » ; « C’est une expression sûrement exacte à cause de la ressemblance troublante qu’il y a entre les hommes et les singes »

Comme le craignait Corinne Fortin, le principe de monstration trouve pleinement ses limites si l’on ne dit rien des causes explicatives du fait montré.

L’intérêt ou l’affection pour les singes renforcent le sentiment de proximité (ici, pas de susceptibilité anthropocentrique mal placée) et amènent quelques arguments un peu naïfs :

« Il n’y a pas de différence entre l’homme et le singe, nous avons tous des sentiments : quand on observe un groupe de singes, on voit qu’ils se font des câlins, qu’ils rient… » ; « je dois être l’une des seules à penser ça, mais OUI, je suis passionnée par les singes, je regarde des documentaires, je lis des articles et je trouve assez hallucinante la ressemblance que les hommes ont avec les singes… ils se grattent pareil ».

En dehors de cette recherche de similitudes, peu de mentions faites de l’évolution. Les étudiants y croient sans conteste, la mentionnent parfois, tentent quelques explications plus ou moins maîtrisées (« L’ancêtre de l’homme est le singe. Les évolutions des espèces sont en parallèle et non en ligne continue. Nous avons tous à un moment un ancêtre commun. Les évolutions et les milieux de vie ont donné naissance à tous les êtres vivants qui coexistent aujourd’hui sur la terre »), mais, dans l’ensemble n’ont pas besoin d’aller chercher d’autre preuve que la ressemblance : « Au niveau scientifique, il a été prouvé que l’homme descendait du singe. Selon moi, des attitudes, des gestes, certains rituels sont similaires et nous prouvent que l’homme a un lien ancien avec le singe. » Peut-être influencés par l’expression, les tenants de l’homme descend du singe ne perçoivent pas l’évolution comme un phénomène continu, mais plutôt comme des sauts ponctuels (on évolue un temps puis on fait une pause ; il y a eu « plusieurs » évolutions). Certains s’inquiètent même de ce qu’il adviendra de l’espèce humaine : « Si c’est ainsi, quel genre d’espèce les humains deviendront-ils dans les siècles à venir ? Allons-nous nous transformer complètement ? »

Des antiévolutionnistes déguisés ont-ils cochés « par erreur » la case l’homme descend du singe ? C’est peut-être le cas de cet étudiant qui dénonce un conditionnement qu’il ne semble pas apprécier : « Cela m’évoque une réalité que l’on nous a toujours inculquée (sic). En effet, avant d’être un être humain, chaque personne était un “singe” ».

Plus intrigante est cette espèce hybride de créationniste athée : « Même si je ne suis pas croyante, je préfère me dire que l’homme descend d’Adam et Ève ».

• « L’homme et le singe ont un ancêtre commun » – 34 %

Nos 34 % d’étudiants avec la réponse juste sont-ils de fervents évolutionnistes ? Ont-ils simplement bien appris leur leçon ? Ou encore, ont-ils simplement eu de la chance ?

À vrai dire, ils sont bien peu à avoir tordu le cou à l’expression l’homme descend du singe dans leur commentaire et, plus globalement le contenu scientifique de leur discours reste pauvre – quand il n’est pas sans queue ni tête. Les avis clairement exprimés sur la question sont rares :

« L’homme et le singe ont un ancêtre commun. Cet ancêtre est virtuel et suite à certaines mutations/adaptations génétiques, certaines espèces telles que l’homme et le singe ont pu apparaître. Si l’homme “descendait” du singe, il n’y aurait plus de singe. »

Quelques mentions de Darwin et de l’évolution. Une bonne dose de similitudes, rarement de faits concrets (« L’homme et le singe ont leur ADN similaire à 90 % ») et quelques dérapages incontrôlés (« Je dirais plutôt qu’il est un cousin de l’homme ou le mélange du singe et d’une molécule qui s’est ajoutée à cette race »). La plupart s’accommodent plutôt sinon complètement de l’expression :

« Je suis tout à fait d’accord avec cette expression, d’après ce qu’on remarque comme ressemblance, on peut supposer que l’homme descend du singe ».

Parmi les failles révélatrices, celle consistant à croire que le singe n’a pas évolué ou que l’homme est supérieur :

« Je ne pense pas que l’homme descend du singe, car si c’était le cas, lui aussi aurait évolué à notre niveau » ; « La morphologie de l’homme et du singe est la même, à quelques exceptions près ; avec le temps et les études, on sait que l’homme est supérieur au singe ».

Quelques-uns relèvent la contradiction logique interne de l’homme descend du singe, mais sans arrière-pensée créationniste (peut-être ont-ils eu un enseignant de SVT qui mettait à profit l’expression pour en démontrer l’absurdité) :

« A mon avis il existe une évolution de l’espèce ; néanmoins, si l’homme est l’évolution du singe, pourquoi le singe est-il toujours là ? »

La coexistence de propositions justes et de représentations erronées embrouille certains esprits :

« Le singe est notre ancêtre : l’homme a juste subi une évolution différente à un moment donné ; mais le singe existe toujours… alors descendons-nous vraiment du singe ou sommes-nous juste cousins ? »

S’il est difficile de déterminer si certains ont répondu vraiment au hasard à la bonne question, on n’en repère en tous cas qu’un seul à avoir vraisemblablement coché la réponse attendue sans y adhérer : « C’est hors religion et purement scientifique ; cette expression semble irréaliste, pourquoi les autres singes n’ont-ils pas évolué ? »

Une posture de dissimulation minoritaire à laquelle on préférera sans doute le défaut de connaissance du plus grand nombre.

 

 

 

“l’homme descend du singe”: ce que pensent certains étudiants (1)

Dans le cadre d’un travail de recherche sur l’expression “l’homme descend du singe”, le bLoug a réalisé de ses blanches mains une mini-enquête auprès d’étudiants en BTS. Un résultat que l’on se gardera bien d’extrapoler compte tenu de l’échantillon modeste (!) mais qui apporte un éclairage sur les difficultés d’appréhension de l’évolutionnisme en croisant données chiffrées et commentaires qualitatifs.

Le point sur la méthode et le résultat dans cette première partie ; dans la seconde, du verbatim étudiant à haute valeur ajoutée

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Cadre

En dépit de programmes scolaires structurés, de professeurs qualifiés, des multiples actions de médiation scientifique, l’enseignement de l’évolution se heurte aujourd’hui en France à une recrudescence de scepticisme et de contestation de la part de certains élèves.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, être engagé dans une filière scientifique n’est même pas un gage de meilleure compréhension. De 2006 à 2008, dans le cadre d’un cours intitulé « Diversité du monde vivant et évolution », 1134 étudiants de biologie de l’Université d’Orsay ont répondu à un questionnaire [1] destiné à évaluer leur niveau de connaissance sur « l’évolution biologique ». Résultats des courses : l’évolution n’est qu’une « hypothèse » pour 32 % des étudiants de biologie. L’enquête, publiée en 2009, a provoqué de vives réactions d’inquiétude (mais pas de surprise) chez les chercheurs et les enseignants.

Il faut réintroduire dans l’enseignement des sciences des éléments explicites d’épistémologie. Si les objections des étudiants relèvent partiellement de lacunes en biologie pure, la plupart d’entre elles relèvent en fait de lacunes en épistémologie de l’évolution. Nulle part on ne leur enseigne ce qu’est une théorie scientifique et ses rapports avec les faits. Nulle part on ne leur parle de hasard et de processus historique. Nulle part on ne leur dit clairement la nature de la séparation entre les discours de valeurs et les discours de faits. Enfin, pour le moment aucun « périmètre » de scientificité n’est explicité, ce qui n’arrange pas l’articulation ente les savoirs scientifiques et les certitudes métaphysiques.1

Guillaume Lecointre

(voir les réactions sur le site de Sciences et Avenir).

 

Principe

Mais que signifient les 32 % d’étudiants reléguant l’évolution au rang des croyances ? Comme souvent avec des quantités isolées, les données soulèvent autant de questions qu’elles en résolvent…

En m’inspirant du questionnaire d’Orsay [1], mais à une échelle bien plus modeste, j’ai conçu un questionnaire très simple permettant de croiser une mesure de la connaissance et une appréciation qualitative. Il a été distribué à des élèves de BTS de diverses filières. [2]

Au recto, une question dite “ouverte”, destinée à recueillir l’opinion libre de chaque élève sur l’expression “l’homme descend du singe” :

« L’homme descend du singe. » Que pensez-vous de cette expression ?
[indiquez en quelques phrases tout ce qui vous vient à l’esprit lorsque vous entendez cette expression ; il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, dites simplement tout ce qui vous passe par la tête]

 

Au verso, une question dite “fermée”, destinée à mesurer le niveau de connaissance :

Parmi ces affirmations, quelle est celle qui vous semble exacte :
[cochez une seule case]

  • L’homme descend du singe
  • L’homme et le singe ont un ancêtre commun
  • Le singe descend de l’homme
  • Aucune des trois premières propositions : l’évolution des espèces ne concerne pas l’homme
  • Aucune des trois premières propositions : les espèces n’évoluent pas
  • (Je ne sais pas)
  • (Je refuse de répondre à cette question)

Précisions

L’ordre de réponse aux deux questions à son importance : l’élève doit exprimer son opinion sur l’expression avant de voir les modalités de réponse à la question fermée. De cette façon, il peut s’exprimer spontanément, sans être orienté. La palette d’opinion est ainsi plus vaste (le répondant n’est pas induit à se positionner nécessairement sur le terrain scientifique) et plus proche de la réalité des connaissances et représentations (qui peuvent être basiques). La formulation de la question fermée essaye de capter en même temps – et l’exercice est délicat à mettre en mots – l’attitude générale par rapport à l’évolutionnisme et la connaissance du statut du couple homme/singe. La référence à Dieu ou à la religion est volontairement absente : les personnes croyantes ont différentes possibilités de réponse, ce qui les incite à se positionner franchement, sans chercher à masquer leur conviction religieuse. La terminologie employée est volontairement simple et – tant pis pour l’essentialisme ! – positionne systématiquement « l’homme » par rapport au « singe ». C’est une façon de mettre toutes les réponses sur un pied d’égalité, sans que l’une sonne particulièrement probable ou improbable.

 

Résultat

Base 122 étudiants de BTS. réalisé en 2011.

 

Parmi ces affirmations, quelle est celle qui vous semble exacte ?
[une réponse]

Si la perspective évolutionniste est majoritaire (les deux tiers des étudiants), un sur cinq réfute toutefois le fait évolutif ou exclut l’homme du processus. Par ailleurs, l’idée que l’homme puisse littéralement descendre du singe ne choque pas : un tiers des répondants pensent que l’affirmation est juste, une proportion identique à celle qui identifie la position scientifiquement correcte : homme et singe partagent un ancêtre commun. L’”affaire Ardi” (en 2009, certains médias crurent bons de titre “le singe descend de l’homme” à propos des nouvelles données publiées sur Ardipithecus ramidus),  n’ont ici laissé aucune trace : personne n’estime que c’est le singe qui descend de l’homme. La part d’étudiants ne se positionnant pas (par faute de connaissance, peu par principe) est relativement importante pour une question somme toute aussi prégnante dans nos représentations.

 

Teaser de la seconde partie :

C’est complètement idiot ! Ce n’est pas parce qu’on a trouvé des crânes de singes ressemblant à ceux des humains qu’on descend forcément des singes ; cette thèse a été complètement réfutée par bon nombre de personnes ; rien ne prouve que c’est vrai, je n’y crois pas du tout, c’est comme le père Noël.

Un étudiant de BTS

 

[1] Le questionnaire, qui m’a été communiqué par Pierre Capy, comportait entre autres les questions suivantes : « L’évolution concerne l’ensemble des espèces, y compris l’homme » (Oui/ Non) ; « Rayez la ou les affirmation(s) erronée(s) : L’homme descend du singe/ L’homme et le singe partagent un ancêtre commun/ Le singe descend de l’homme/ L’homme est un singe parmi d’autres

[2] Il s’agissait d’étudiants de 1re et de 2e année, alternants, initiaux ou en formation continue. Leurs filières étaient celles de l’immobilier, de la banque, de la vente et de l’assistance de gestion.

Tableau des marges d’erreur (le truc qu’on ne vous montre jamais dans un sondage publié ; désolé pour la résolution crade)

 

le procès du singe (part 2 : contingences du militantisme)

La figure du singe devient avec le procès Scopes un enjeu de pouvoir évident, objet de représentations orientées et déformées (voir la première partie). La véritable histoire de cet épisode judiciaire est assez étrange. Le “procès du singe” fut en fait délibérément organisé… mais rien ne se passa comme prévu…

attention, lobbying actif

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Le procès du singe ne fut ni plus ni moins que le résultat d’une « pression législative organisée »1, comme l’analyse Dominique Lecourt. En effet, au cours des années vingt, « s’étaient regroupées autour du drapeau de l’évolution toutes les forces de l’Amérique yankee : théologiens libéraux, universitaires positivistes, hommes d’affaires « matérialistes » voués au culte du profit. »2 Cette croisade allait susciter un contrefeu puissant. Lorsque le républicain John Washington Butler dépose, le 21 janvier 1925, un projet de loi visant à interdire dans le Tennessee l’enseignement de « toute théorie qui nie l’histoire de la Divine Création, telle qu’elle est enseignée par la Bible, et qui prétend que l’Homme descend d’un ordre animal inférieur », ce n’est que l’une des quarante cinq actions, dans vingt États, déclenchées entre 1921 et 1929 par les créationnistes pour empêcher l’enseignement de l’évolution ! L’offensive est impressionnante et cible expressément l’enseignement – ce sera la tactique de toutes les attaques créationnistes à venir, aux États-Unis comme ailleurs dans le monde. Devant son ampleur, l’American Civil Liberties Union (ACLU), association pour la défense des droits civiques, va prendre les choses en mains et, littéralement, organiser le procès du singe.

 

Cherche cobaye pour procès, écrire au journal qui transmettra

Le plan de bataille de l’ACLU paraît infaillible : « tester l’efficacité répressive »3 du Butler Act en faisant inculper un enseignant pour sa non-application, afin de pouvoir porter l’affaire devant la Cour suprême des États-Unis pour qu’elle déclare la loi inconstitutionnelle (le juge local n’ayant pas cette compétence). L’ACLU n’a plus qu’à recruter un « cobaye » : elle va le faire par voie de presse (!) en s’engageant à fournir au candidat l’assistance d’un avocat – dont le rôle doit être minime, puisque l’on recherche une condamnation – et un soutien financier.

Thomas Scopes. Une belle tête de cobaye.

L’année scolaire achevée, Scopes, resté à Dayton « parce qu’il devait escorter « une jolie blonde » à quelque fête paroissiale »4, rencontre l’ACLU et se propose de jouer les boucs émissaires. Il n’a jamais abordé le sujet de l’évolution en classe mais a simplement donné aux élèves quelques pages du manuel offensant la loi à résumer en vue d’un examen alors qu’il remplaçait le professeur de biologie en titre quand ce dernier, qui était également directeur de l’école, tomba malade. Il déclarera plus tard qu’il s’agissait « juste une discussion de bistrot qui a ensuite échappé à [leur] contrôle »5. Car, à partir de là, rien ne va effectivement se passer comme prévu.

La condamnation acquise d’avance, l’ACLU cherche un procès rapide plutôt que le véritable barnum qui va envahir la petite ville fondamentaliste de Dayton, dont les habitants, eux, voient dans ce procès « une occasion inespérée de faire figurer leur petite ville « sur la carte ». »6 Le choix de Darrow comme avocat de la défense échappe également à son contrôle. Avocat à Chicago, symbole de la libre pensée et défenseur attitré des syndicalistes, Darrow venait de sauver de la peine capitale deux jeunes criminels homosexuels qui avaient horrifiés le pays par le meurtre gratuit d’un enfant – pas vraiment le profil de l’avocat discret recherché par la défense. Mais Bryan s’étant engagé pour la partie adverse, « l’offre de Darrow ne pouvait plus guère être repoussée »7. Le procès du singe qui devait être une formalité se transforme en combat de ténors du barreau monopolisant l’attention du pays tout entier !

 

Beuglements en Afghanistan

Qui de Darrow ou de Bryan est sorti vainqueur de cette joute oratoire ? La question appelle des réminiscences du débat d’Oxford (sur lequel le bLoug se penchera prochainement), pour lequel la postérité n’a pas retenu celui qui s’était effectivement le mieux fait entendre. Il semble que Bryan, que l’on présente souvent humilié, le fut moins par Darrow que par Dudley Field Malone, l’autre avocat de la défense. Avocat de la cause féministe, ce new-yorkais, catholique divorcé formait avec Darrow « le meilleur attelage pour hérisser et scandaliser le Sud moraliste et conformiste »8, selon l’expression de Lecourt. Par ailleurs, on a souvent écrit que Darrow avait poussé Bryan dans ses retranchement en l’appelant a témoigner en tant qu’expert de la Bible. Or, d’après Gould, Bryan se tira suffisamment bien de la tache pour ne pas se sentir gêné – d’autant qu’il n’avait jamais été strictement littéraliste. « Ce n’était donc pas une lamentable incohérence qu’auraient démasquée les questions implacables de Darrow. »9 Par ailleurs, ce témoignage, qui fut retiré du procès-verbal, eut lieu alors que le procès touchait à sa fin et que pratiquement tous les journalistes étaient partis…

dis, tu me prêterais pas ton éventail ? j'ai un peu chaud à beugler là...

H.L. Mencken se chargea, dans son style inimitable, de caractériser l’impact de l’intervention de Darrow: « le grand discours qu’a prononcé hier Clarence Darrow semble avoir eu exactement le même effet que s’il avait beuglé dans quelques défilé montagneux de l’Afghanistan. »10

 

Hasards sans nécessité

Le plus étrange dans le procès du singe est peut-être qu’il aurait pu ne jamais avoir lieu. D’abord parce que d’autres voies s’offraient pour contrer l’offensive créationniste – pour Stephen Jay Gould, le Butler Act aurait en effet pu « être rejeté sans grande difficulté si ses adversaires avaient pris la peine de s’organiser et de constituer un groupe de pression comme ils l’avaient fait l’année précédente dans le Kentucky »11 pour un projet du même type. Ensuite, parce qu’il se tint en dépit d’une accumulation invraisemblables de circonstances favorables, dont Gould a dressé la liste : ce fut une improbable suite de démissions politiques du Parlement et du gouverneur du Tennessee qui votèrent et ratifièrent un texte dont ils ne comprenaient pas l’enjeu en espérant que quelqu’un d’autre se chargerait de rectifier leur décision !

John Washington Butler. Ou comment légiférer sur un sujet qu'on ne connaît pas.

Bryan lui-même ne souhaitait pas cette loi et avait manœuvré sans succès pour qu’il n’y ait pas de peine prévue en cas d’infraction. Quant à Butler, à l’origine de la loi, il devait confesser plus tard : « je n’aurais jamais pensé que ma loi produise un tel tapage ! (…) Je ne savais absolument rien de l’évolution, lorsque j’ai abordé cette histoire. J’avais lu dans les journaux que des garçons et des filles rentraient chez eux de l’école en disant à leurs pères et à leurs mères que la Bible était pleine de non-sens. »12 Le recrutement de Scopes lui-même fut une sér ie de hasards : il devait quitter Dayton pour passer ses vacances en famille et n’était pas enseignant de biologie ; il avait simplement remplacé le titulaire, fondamentaliste bon teint qu’il aurait été bien difficile aux membres de l’ACLU de convaincre !

 

Une victoire à la Pyrrhus

Comme l’a relevé Stephen Jay Gould, l’issue véritable du procès a rarement été bien comprise. Au-delà des cas personnels de Darrow et de Bryan, le procès du singe pose de légitimes questions quant à ses conséquences sur les causes qu’ils défendaient. Pour le camp de l’évolutionnisme, la victoire médiatique souvent relevée n’est sans doute pas un motif de réjouissance suffisant à combler les défaites amères encaissées sur d’autres plans.

« En tant qu’opération de relations publiques, le procès Scopes peut être considéré comme une victoire pour notre camp »13, se réjouit Gould. Il eut effectivement un certain retentissement médiatique qui n’était pas flatteur pour les états de la Bible Belt. Même si l’évolutionnisme n’eut pas droit de citer lors des débats, car le juge avait récusé les scientifiques éminents convoqués par Darrow au motif que ce n’était pas l’évolution qui était en cause, ils produisirent malgré tout une masse de documents qui furent « reproduits dans tous les journaux du pays et que le juge accepta de faire figurer au dossier ! »14

Les conséquences juridiques et éducatives du procès du singe furent par contre assez désastreuses. L’anecdote est connue : Scopes fut condamné comme prévu, mais le juge lui infligea une amende de cent dollars… alors que la législation du Tennessee exigeait que toute amende supérieure à cinquante dollars soit fixée par l’ensemble du jury. Cette banale erreur de procédure mettait tout bonnement par terre la stratégie de l’ACLU, qui perdait toute possibilité de poursuivre l’affaire auprès des cours fédérales. D’une certain façon la défense payait la « starisation » : elle ne comptait « personne qui connût suffisamment la législation locale pour contester la décision du juge et réclamer une procédure appropriée »15. Le procès du singe était rendu inutile pour une erreur de procédure. Il aurait fallu faire rejuger Scopes, mais Bryan était décédé et ledit Scopes était passé à autre chose et s’était inscrit en doctorat de géologie à l’université de Chicago.

Cette bévue du juge explique que la loi soit restée en vigueur jusqu’en qu’en 1967. Elle fut même copiée en 1928 par l’Arkansas et doublée d’une loi l’année suivante sur la lecture quotidienne de la bible dans les écoles publiques !16 La situation persista jusqu’en 1968, date à laquelle Susan Epperson, enseignante de l’Arkansas, attaqua une loi semblable au Butler Act devant la Cour suprême. Le verdict d’inconstitutionnalité sur la base du Premier Amendement était enfin délivré, 43 ans après le procès du singe.

Certes, le Butler Act ne fut jamais appliqué. Mais doit-on vraiment sans réjouir ? Tant que la loi existait, elle restait une « arme contre un enseignement sérieux de la biologie »17 et eut à ce titre des conséquences assez insidieuses sur la diffusion de l’évolutionnisme dans les écoles américaines pour les décennies suivantes. Stephen Jay Gould fustige le rôle des éditeurs dans cette reculade généralisée : « Les éditeurs de manuels scolaires, qui sont les plus lâches de toute la profession, prirent presque tous peur, omettant de parler de la théorie de l’évolution ou bien la reléguant dans un petit chapitre en fin de volume. »18

Biology for beginners, éditions de 1921 et de 1926 ; Darwin semble avoir été digéré...

Certes, il semble bien qu’il y ait eu un avant et un après Scopes dans les manuels de biologie de l’époque. Pour Gould, on assista à un travail de sape auprès des éditeurs qui fut un beau succès pour le fondamentalisme créationniste, puisque les allusions à Darwin et les mentions de l’évolution, déjà peu nombreuses, furent supprimées des manuels. Gould cite l’exemple du livre à partir duquel Scopes prétendit avoir enseigné les idées évolutionnistes. Ce manuel, Civic Biology (ou plus exactement A Civic Biology: Presented in Problems), datait de 1914. Il fut expurgé et réédité en 1927 sous le titre New Civic Biology. Le terme évolution et les concepts qui y étaient associés disparaissaient dans la version après Scopes. Toutefois, Gould se trompe doublement en associant à la nouvelle édition de ce manuel le remplacement, sur le frontispice de l’ouvrage, d’une illustration du visage de Charles Darwin par un superbe schéma d’appareil digestif.  C’est un autre manuel qui est en cause dans ce tour de passe-passe : Biology for Beginners. Et, comme nous l’apprend le site textbookhistory.com, qui dissèque les ouvrages de biologie qui existaient au temps de  Scopes, Darwin avait déjà disparu en 1924, donc avant Scopes, au profit de Louis Pasteur… Les apparences peuvent donc être trompeuses (on soulignera aussi que les mentions de l’évolution pré-Scopes étaient systématiquement associées à l’eugénisme et n’étaient donc pas nécessairement bénéfiques)…

L’erreur de Gould n’enlève rien à la réalité du combat mené par l’anti-évolutionnisme sur le plan éditorial. Un autre manuel cité par Gould, Dynamic Biology, qui date de 1933, continue de mentionner l’évolution… mais au dos de l’ouvrage, et pour préciser : « Aujourd’hui la théorie de Darwin, comme celle de Lamarck, n’est plus admise »19! Terminons cet aperçu des dégâts occasionnés par la tournure malheureuse que prit le procès du singe par ce nouveau témoignage de Gould, plus tardif, qui montre la durée de l’ostracisme éditorial à l’égard de Darwin et de l’évolutionnisme :

« J’ai dans mes rayonnages un exemplaire du manuel qui était le mien en 1956 dans un lycée de New York, dont les professeurs, libéraux, n’avaient aucune réticence à enseigner la théorie de l’évolution. Ce manuel, Modern Biology, de Moon, Mann et Otto, dominait alors le marché et servait à la formation de plus de la moitié des lycéens américains. La théorie de l’évolution n’y occupe que 18 pages sur 662, lesquelles 18 pages constituent le chapitre 58 (sur 60) – le lecteur, se souvenant de ses années de lycée, comprendra immédiatement que la plupart des classes n’arrivaient jamais jusqu’à ce chapitre. Qui plus est, le texte ne mentionne nulle part le terme redouté d’« évolution » et désigne le darwinisme comme « l’hypothèse du développement racial ». Or la première édition de ce manuel – publié en 1921, c’est-à-dire avant le procès Scopes – présentait en couverture un portrait de Darwin (dans l’édition de 1956, un groupe de castors industrieux a remplacé le plus célèbre de tous les naturalistes) et contenait plusieurs chapitres où la théorie de l’évolution était présentée non seulement comme démontrée, mais comme constituant le fondement même de toutes les sciences biologiques.20

 

Celui qui trouble sa maison…

The Darwin club, illustration de Rea Irvin (1915) : les singes prennent leurs aises et “troublent la maison”

Inherit the Wind, titre de la fiction tirée du procès Scopes, est tiré de la Bible (Proverbes 11:29). En voici une des innombrables versions anglaises (King James) : He that troubleth his own house shall inherit the wind: and the fool shall be servant to the wise of heart. Soit : Celui qui trouble sa maison héritera le vent, et l’insensé sera l’esclave de l’homme sage.

A la suite de son procès, Thomas Scopes se garda de troubler à nouveau la maison… mais il n’hésita pas non plus à défendre la liberté de recherche et les droits des enseignants. Quant au singe, cet insensé, il n’avait pas fini de menacer la paix des foyers et l’ordre établi – ce que, en réalité, lui reprochait Bryan, mais cela fera l’objet d’une troisième partie…

 

 

 

1Voir le détail dans D. Lecourt, L’Amérique entre la Bible et Darwin, Paris, PUF, 2007, p.21-22.
2Préface de Dominique Lecourt à S. J. Gould, Et Dieu dit : « Que Darwin soit ! », Paris, Seuil, 2000.
3J. Arnould, Dieu versus Darwin, Les créationnistes vont-ils triompher de la science ? Paris, Albin Michel, 2009.
4Stephen Jay Gould, « Une visite à Dayton », Quand les poules auront des dents, Paris, Seuil, 1991.
5Id.
6Id.
7S. J. Gould, Et Dieu dit : « Que Darwin soit ! », Paris, Seuil, 2000, p.129.
8D. Lecourt, L’Amérique entre la Bible et Darwin, Paris, PUF, 2007, p.24.
9Stephen Jay Gould, « Une visite à Dayton », Quand les poules auront des dents, Paris, Seuil, 1991.
10Id.
11Id.
12Cité par J. Arnould, Dieu versus Darwin, Les créationnistes vont-ils triompher de la science ? Paris, Albin Michel, 2009.
13Stephen Jay Gould, Op. cit.
14Id.
15S. J. Gould, Et Dieu dit : « Que Darwin soit ! », Paris, Seuil, 2000, p.130.
16D’après J. Arnould, Dieu versus Darwin, Les créationnistes vont-ils triompher de la science ? Paris, Albin Michel, 2009.
17S. J. Gould, Et Dieu dit : « Que Darwin soit ! », Paris, Seuil, 2000, p.131.
18Id.
19Cité par J. Arnould, Dieu versus Darwin, Les créationnistes vont-ils triompher de la science ? Paris, Albin Michel, 2009.
20 D’après S. J. Gould, Et Dieu dit : « Que Darwin soit ! », Paris, Seuil, 2000, p.132.

l’origine des espèces de punks (insane lectures #2)

« Si Charles Darwin était vivant aujourd’hui, je pense qu’il serait très intéressé par le punk-rock » (Greg Graffin, in Anarchy Evolution)

Une certaine remise en cause du dogme et de l’autorité, voilà ce qui lie deux mondes a priori très éloignés l’un de l’autre, celui de la biologie évolutionniste et celui du punk-rock. Il n’y avait qu’une personne pour faire le lien : Greg Graffin, chanteur du groupe Bad Religion depuis plus de 30 ans et par ailleurs Docteur en zoologie et maître de conférence à UCLA à ses heures perdues. Il nous fait le récit de ce grand écart dans Anarchy Evolution (sous-titré Faith, Science and Bad Religion in a World Without god), publié en 2010 par It Books.

L’objet est étrange mais à l’image de la double vie de Greg Graffin, très jeune tombé dans deux marmites en même temps, celle de la musique et celle de la science. Ni véritable autobiographie, ni traité scientifique, ni manifeste punk, ni traité d’athéisme, mais un peu de tout cela en même temps, le livre pourrait facilement rebuter. Grâce à un équilibre de traitement plutôt judicieux et à des ponts savamment jetés entre les deux rives de l’existence compartimentée de l’auteur, il parvient plutôt à séduire.

Comment faire la cigale et la fourmi en même temps

Greg Graffin a déclaré avoir voulu devenir chanteur dès l’âge de neuf ans. Sa vocation scientifique, elle, nait véritablement avec un livre, Origins, de Richard Leakey et Roger Lewin, que sa mère lui offre au moment où, encore adolescent, il forme Bad Religion. Les dernières phrases de Origins lui inspireront l’un des titres du premier album de Bad Religion, “We’re Only Going to Die from Our Own Arrogance”. Le décor est planté. Greg Graffin mènera ses deux carrieres de front, sans jamais sacrifier l’une à l’autre.

Punk et enseignement, évolution biologique et evolution culturelle, la tentation du parallèle abusif est forte, mais Graffin met en garde son lecteur : “It’s important to note that the two processes [evolutionary biology and history of punk music] are quite different.” Difficile toutefois pour quelqu’un d’immergé dans les deux mondes de ne pas faire quelques rapprochements assez bLouguiens dans l’esprit, comme avec cette vision de son groupe comme organisme en lutte pour la survie :

“I used to envision each Bad Religion concert as a unique environmental opportunity. We could try to increase our popularity trait by singing better songs and giving better performances, in which case our popularity would grow. Or we could suck and lose fans, causing eventual extinction.”

Mais la plupart du temps, Graffin ne mélange pas les genres et parle – sérieusement – d’évolution. Graffin s’adresse à un public de profanes et souhaite faire passer un message plus que des connaissances. Pas de cours théorique structuré, donc, mais quelques notions et exemples distillés ici et là, au gré du récit, entre deux considérations très générales  : un peu d’histoire de la terre et de la lignée humaine, les gênes, des mastodontes, une fourmilière pour montrer que l’anarchie caractérise la nature plutôt que la perfection, et Tiktaalik comme exemple de fossile transitionnel entre deux lignées (poisson et tétrapodes, nantis de métacarpes).

Tiktaalik (Tiktaalik roseae ) : des nageoires avec des épaules, un coude et un poignet. Sans lui, tu ferais comment pour applaudir un concert de Bad Religion ?

Un point de vue naturaliste sur le monde

Forcément, la religion n’est pas en odeur de sainteté chez un auteur scientifique ET punk. Mais Graffin est loin d’être un esprit étroit. Il se définit comme naturaliste plutôt que athée.

Définition qui a le mérite d’être positive :

“I have problems with the word “atheism”. It defines what someone is not rather than what someone is. It would be like calling me an a-instrumentalist for Bad Religion rather than the band’s singer.”

Et surtout, de placer la science au-dessus du lot :

“I don’t promote atheism in my song or when I teach undergraduates. During my lectures about Charles Darwin, for example, I barely mention Darwin’s decisive reason for abandoning theism. Far more important is his theorizing about biological phenomena. The focus of students’ attention at the introductory level, where I teach, should be on the processes and interrelationships found in nature. The debate over whether species are specially created by a deity has only a secondary significance, and ther simply isn’t time to discuss it in introductory biology class.”

L'expérience de la foi - version punk naturaliste

Sans être aussi virulent qu’un Richard Dawkins avec qui il semble avoir quelques accointances, Greg Graffin n’est pas franchement fan du NOMA (principe de non recouvrement des magistères de la science et de la religion, don’t le bLoug aura un jour à causer). Pour lui, pas de raison pour que la religion échappe au crible du questionnement scientifique ; vouloir compartimenter, c’est fuir ses responsabilités et se décrédibiliser.

« Claims made by authorities with the tacit expectation that they should go unchallenged out of reverence to those in power are precisely the kinds of claims I like to investigate and challenge. After all, the basic practice of science requires us to test all claims by the same criteria: observation, experimentation, and verification. If scientists are willing to rule out an entire domain of human life as exempt from their methods, how can they expect anyone to respect those methods ? by trying to protect themselves from a public backlash against their overwhelmingly monist viewpoint, they undercut the very point they are trying to make.”

Même rigueur sur la perspective d’un dialogue avec les créationnistes :

“I am not at all interested in leaving the door open for discussions with advocates of the moderne “intelligent design” movement.”

Portrait du scientifique en jeune punk

A force de faire des conneries, j'ai fini par me faire cravater

Avant d’être le distingué Docteur Graffin, Greg Graffin a commencé jeune punk morveux trainant dans Santa Monica Boulevard, une zone connue pour « ses putes, ses camés défoncés, ses gays en chasse et toutes sortes de punks ».

Très tôt retiré du pit, n’ayant jamais pris de drogue d’aucune sorte (et ça a l’air vrai en plus), Graffin a un côté lisse et intello assez peu en phase avec son milieu (pour faire bonne mesure, il aide tout de même ses potes à se faire leurs shoots…).

Mais cette facette de sa personnalité le sauve probablement de la violence qui va gangréner et annihiler la scène punk du Los Angeles des années 80 pour le précipiter dans les bras rédempteurs de la science.

Le témoignage sur cette transition est intéressant : il montre combien le système éducatif était défaillant en matière d’évolutionnisme.

D’un simple point de vue quantitatif, tout d’abord, avec de maigres heures de cours, dispensés pour la forme :

“As is the case with many high school biology classes, my school downplayed evolution; though it is the key to all of biology, we got only a one-week unit on the topic. So I had to educate myself. I bought a cheap paperback version of On the Origin of Species and set a goal of reading some of it each night before bed”

très tôt, un goût prononcé pour les fossiles

Sur un plan qualitatif également : Graffin explique comment le devoir final qu’il présente à sa classe et qui n’est qu’une suite de contresens sur l’évolution se voit récompensé par les louanges de son professeur :

“I explained to my classmates that evolution was based on competition and that some forms of life were better at living than others. I told the class that all evolution tends toward perfection, and that, despite numerous false starts and dead ends, the most successful and elaborate evolutionary lineage was the human species. I said that all human attributes were originally adaptations to life on the savannah in Africa.”

“Much of what I said in that lecture was wrong. […] But I received an A in that class, and my teacher wrote on my report card “Gave a great talk on evolution”.”

Anarchy in the UCLA – le côté obscur de la science

Le livre laisse quelques regrets, en particulier celui de ne pas aborder la vie universitaire actuelle de Greg Graffin. On peut toutefois lire en creux qu’elle n’a peut-être rien de bien excitant. Graffin effleure le sujet en mentionnant l’anecdote d’une groupie brésilienne qu’il éconduit poliment, parce qu’il doit se lever tôt le lendemain pour partir dans une quelconque expédition dans la jungle. N’importe quelle rockstar normalement constituée s’esclafferait. Mais pour un naturaliste digne de ce nom, si la nature propose, Darwin dispose :

“What kind of man in the prime of his life would turn down the advances of beautiful Brazilian women and instead head out to look at birds, trees, reptiles and amphibians ? But this particular visit was the culmination of a dream that began in high school, when I read Darwin’s The Voyage of the Beagle.”

Autre signe des rigueurs de la vie universitaire, l’expédition en Bolivie à laquelle le jeune Greg Graffin à le plaisir de participer et qui se transforme en un improbable fiasco. Ces passages du livre sont parmi les meilleurs, par leur drôlerie et ce qu’ils disent de la réalité du travail de scientifique.

et là je leur balance Bad Religion pour les amadouer

Dans le cadre d’un projet de réserve naturelle, Graffin est embauché en tant que « collector of birds and mammals ». Il comprend en fait que sa mission consiste à tirer, piéger, étrangler et tuer tout ce qui bouge. L’expédition oscille ensuite entre l’ennui profond et des pics de grotesque dignes de Redmond O’Hanlon (auteur dont le bLoug vous entretiendra prochainement). Un bateau surnommé El Tigre de Los Angeles et flanqué d’un tigre à dents de sabre pour logo, des compagnons taciturnes, dont un Canadien qui aura pratiquement pour seules paroles un résigné ‘What the fuck am I doing here ?’, une rencontre avec des Indiens (« They boarded El Tigre de Los Angeles asi fi they didn’t need permission. I waved and said, “hola! Me llamo Gregorio,” to which they responded, “Missionarios?”), et pour finir, le délitement de l’expédition sur fond de coup d’état et une fuite à bord d’un avion flanqué d’un auto-collant ‘God is my co-pilot’ !

Etre pris pour un missionnaire et devoir son salut au copilotage de Dieu, voilà qui était beaucoup pour le seul chanteur de Bad Religion. Heureusement, Greg Graffin est un être double.

Anarchy Evolution – Faith, Science and Bad Religion in a World Without god, par Greg Graffin & Steve Olson, It Books, Septembre 2010, 304 Pages, $22.99

Une critique de Anarchy Evolution par sceptic.com

Greg et son gang, dans le headbanging science #4 : Bad religion, Ten in 2010

« Si Charles Darwin était vivant aujourd’hui, je pense qu’il serait très intéressé par le punk-rock ».

 

Une certaine remise en cause du dogme et de l’autorité, voilà ce qui lie deux mondes a priori très éloignés l’un de l’autre, celui de la biologie évolutionniste et celui du punk-rock. Il n’y avait qu’une personne pour faire le lien : Greg Graffin, chanteur du groupe Bad Religion depuis plus de 30 ans et par ailleurs Docteur en Paléontologie et maître de conférence à UCLA à ses heures perdues. Il nous fait le récit de ce grand écart dans Anarchy Evolution (sous-titré Faith, Science and Bad Religion in a World Without god), publié en 2010 par It Books.

 

 

L’objet est étrange mais à l’image de la double vie de Greg Graffin, très jeune tombé dans deux marmites en même temps, celle de la musique et celle de la science. Ni véritable autobiographie, ni traité scientifique, ni manifeste punk, ni traité d’athéisme religion, mais un peu de tout cela en même temps, le livre pourrait facilement rebuter. Grâce à un équilibre de traitement plutôt judicieux et à des ponts savamment jetés entre les deux rives de l’existence compartimentée l’auteur, il parvient plutôt à séduire. Son principal atout est de rester simple : Graffin raconte certains événements de sa vie, effectue quelques parallèles, invite à se poser des questions, mais ne cherche ni à en mettre plein la vue ni à donner la leçon.

 

Comment faire la cigale et la fourmi en même temps

 

Greg Graffin a déclaré avoir voulu devenir chanteur dès l’âge de neuf ans. Sa vocation scientifique, elle, nait véritablement avec un livre, Origins, de Richard Leakey et Roger Lewin, que sa mère lui offre au moment où, encore adolescent, il forme Bad Religion. Les dernières phrases de Origins lui inspireront l’un des titres du premier album de Bad Religion, “We’re Only Going to Die from Our Own Arrogance”. Le décor est planté. Greg Graffin mènera ses deux carrieres de front, sans jamais sacrifier l’une à l’autre.

 

Punk et enseignement, évolution biologique et evolution culturelle, la tentation du parallèle abusif est forte, mais Graffin met en garde son lecteur : “It’s important to note that the two processes [evolutionary biology and history of punk music] are quite different.” Difficile toutefois pour quelqu’un d’immergé dans les deux mondes de ne pas faire quelques rapprochements assez bLouguiens dans l’esprit, comme avec cette vision de son groupe comme organisme en lutte pour la survie :

 

Still, it’s hard for me not to draw evolutionary parallels. I used to envision each Bad Religion concert as a unique environmental opportunity. We could try to increase our popularity trait by singing better songs and giving better performances, in which case our popularity would grow. Or we could suck and lose fans, causing eventual extinction. Either way, the similarities seemed obvious to me.”

 

A d’autres moments, le punk sert simplement de métaphore immédiatement audible pour illustrer certains principes de l’évolutionnisme :

 

“Yet DNA is just one part of our biological machinery and is unable to do something on its own. It would be equally shortsighted to give the central role of punk rock to the lyrics of its song, ignoring the musicians and the punk fans who form the collective environment of the punk subculture.”

 

 

Un point de vue naturaliste sur le monde

 

Forcément, la religion n’est pas en odeur de sainteté chez un auteur scientifique ET punk. Mais Graffin est loin d’être un esprit étroit. Il se définit comme un naturaliste plutôt qu’un athée.

 

Définition qui a le mérite d’être positive :

 

“I have problems with the word “atheism”. It defines what someone is not rather than what someone is. It would be like calling me an a-instrumentalist for Bad Religion rather than the band’s singer.”

 

Et surtout, de placer la science au-dessus du lot :

 

“I don’t promote atheism in my song or when I teach undergraduates. During my lectures about Charles Darwin, for example, I barely mention Darwin’s decisive reason for abandoning theism. Far more important is his theorizing about biological phenomena. The focus of students’ attention at the introductory level, where I teach, should be on the processes and interrelationships found in nature. The debate over whether species are specially created by a deity has only a secondary significance, and ther simply isn’t time to discuss it in introductory biology class.”

Anarchy in the UCLA – le côté obscur de la science

 

 

Sans être aussi virulent qu’un Richard Dawkins avec qui il semble avoir quelques accointances, Greg Graffin n’est pas franchement fan du NOMA (principe de non recouvrement des magistères de la science et de la religion, don’t le bLoug aura un jour à causer). Pour lui, pas de raison pour que la religion échappe au crible du questionnement scientifique ; vouloir compartimenter, c’est fuir ses responsabilités et se décrédibiliser :

 

« It may be possible to compartmentalize science and religion so that they seem not to conflict. But avoiding potential conflict between science and religion by not asking the tough questions sidesteps the confrontational spirit of scientific investigation. Claims made by authorities with the tacit expectation that they should go unchallenged out of reverence to those in power are precisely the kinds of claims I like to investigate and challenge. After all, the basic practice of science requires us to test all claims by the same criteria: observation, experimentation, and verification. If scientists are willing to rule out an entire domain of human life as exempt from their methods, how can they expect anyone to respect those methods ? by trying to protect themselves from a public backlash against their overwhelmingly monist viewpoint, they undercut the very point they are trying to make.”

 

Même rigueur sur la perspective d’un dialogue avec les créationnistes :

I am not at all interested in leaving the door open for discussions with advocates of the moderne “intelligent design” movement.”

 

 

Portrait du scientifique en jeune punk

 

Avant d’être le distingué Docteur Graffin, Greg Graffin a commencé jeune punk morveux trainant dans Santa Monica Boulevard, une zone connue pour « ses putes, ses camés défoncés, ses gays en chasse et toutes sortes de punks ».

Très tôt retiré du pit, n’ayant jamais pris de drogue d’aucune sorte (et ça a l’air vrai), Graffin a un côté lisse et intello assez peu en phase avec son entourage (pour faire bonne mesure, il aide tout de même ses potes à se faire leurs shoots…). Mais cette facette de sa personnalité le sauve probablement de la violence qui va gangréner et annihiler la scène punk du Los Angeles des années 80 pour le précipiter dans les bras rédempteurs de la science.

Le témoignage est intéressant : il montre combien le système éducatif était (est toujours ?) défaillant en matière d’évolutionnisme. D’un simple point de vue quantitatif, tout d’abord, avec de maigres heures de cours, dispensées pour la forme :

As is the case with many high school biology classes, my school downplayed evolution; though it is the key to all of biology, we got only a one-week unit on the topic. So I had to educate myself. I bought a cheap paperback version of On the Origin of Species and set a goal of reading some of it each night before bed. I began putting together a library on evolution that today occupies an entire room of my house.

 

Sur un plan qualitatif également : Graffin explique comment le devoir final qu’il présente à sa classe et qui n’est qu’une suite de contresens sur l’évolution se voit récompensé par les louanges de son professeur :

 

I explained to my classmates that evolution was based on competition and that some forms of life were better at living than others. I told the class that all evolution tends toward perfection, and that, despite numerous false starts and dead ends, the most successful and elaborate evolutionary lineage was the human species. I said that all human attributes were originally adaptations to life on the savannah in Africa.”

Much of what I said in that lecture was wrong. […] But I received an A in that class, and my teacher wrote on my report card “Gave a great talk on evolution”.”

 

 

Anarchy in the UCLA – le côté obscur de la science

Le livre laisse quelques regrets, en particulier celui de ne pas aborder la vie professionnelle actuelle de Greg Graffin. On peut toutefois lire en creux qu’elle n’a peut-être rien de bien excitant. Graffin effleure le sujet en mentionnant l’anecdote d’une groupie brésilienne qu’il éconduit poliment, parce qu’il doit se lever tôt le lendemain pour partir dans une quelconque expédition dans la jungle. N’importe quelle rockstar normalement constituée s’esclafferait. Mais pour un scientifique, en quelque sorte, si la nature propose, Darwin dispose :

 

“What kind of man in the prime of his life would turn down the advances of beautiful Brazilian women and instead head out to look at birds, trees, reptiles and amphibians ? But this particular visit was the culmination of a dream that began in high school, when I read Darwin’s The Voyage of the Beagle.”

 

Autre signe des rigueurs de la vie universitaire, l’expédition en Bolivie à laquelle le jeune Greg Graffin à le plaisir de participer et qui se transforme en un improbable fiasco. Ces passages du livre sont parmi les meilleurs, par leur drôlerie et ce qu’ils disent de la réalité du travail de scientifique.

Dans le cadre d’un projet de réserve naturelle, Graffin est embauché en tant que « collector of birds and mammals ». Il comprend en fait que sa mission consiste à tirer, piéger, étrangler et tuer tout ce qui bouge. » L’expédition oscille ensuite entre l’ennui profond et des pics de grotesque digne de Redmond O’Hanlon (auteur dont le bLoug vous entretiendra prochainement) : un bateau surnommé El Tigre de Los Angeles et flanqué d’un tigre à dents de sabre pour logo, des compagnons taciturnes, dont un Canadien don’t l’une des seules paroles sera : ‘What the fuck am I doing here ?’, une rencontre avec des Indiens (« They boarded El Tigre de Los Angeles asi fi they didn’t need permission. I waved and said, “hola! Me llamo Gregorio,” to which they responded, “Missionarios?”) et pour finir le délitement de l’expédition sur fond de coup d’état et une fuite à bord d’un avion flanqué d’un auto-collant God is my co-pilot !

 

Etre pris pour un missionnaire et devoir son salut au copilotage de Dieu, voilà qui était beaucoup pour le chanteur de Bad Religion. Heureusement que Greg Graffin est double.

 

 

 

 

 

 

Anarchy Evolution

Faith, Science and Bad Religion in a World Without god

Greg Graffin & Steve Olson

It Books; Hardcover
On Sale: September 28, 2010
304 Pages / $22.99

 

 

http://www.skeptic.com/eskeptic/11-02-23/

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