coucou, criquet là ? (hs#15: MACHINE HEAD, Locust)

A l’approche du printemps, le headbanging science du bLoug est toujours pris d’une envie de sautiller telle la sauterelle sur de primesautiers gazouillis… De là à passer à l’écoute du Locust de Machine Head, il n’y avait donc qu’on bond – amplement facilité par la suggestion de François Lassagne (merci !).

Locust est tiré du septième album studio du groupe, Unto the Locust (soit “vers le criquet”, tout un programme), sorti en France en 2011. Le morceau  se veut métaphorique : selon Robb Flynn, chanteur et guitariste, il évoque certaines personnes qui tendent à devenir un fléau pour leur entourage… Un peu comme les criquets, ces bestioles d’ordinaire si paisibles avant qu’il leur prenne l’idée de tout ravager sur leur passage en bandes organisées. Avant-goût en vidéo :

Mais qu’est-ce donc qu’un locuste ?

Difficile de s’y retrouver dans ces bestioles qui sautent partout. Essayons de les tenir en place le temps d’éclaircir la situation. Les criquets constituent un sous-ordre d’insectes phytophages (i.e. mangeurs de plantes) de l’ordre des orthoptères (ordre d’insectes à ailes droite, comprenant aussi les sauterelles et les grillons). En fonction de leur comportement, on distingue parmi eux les locustes et les sauteriaux (qui n’ont rien à voir avec les sauterelles). Les locustes sont des espèces grégariaptes, c’est-à-dire qu’elles tendent à devenir grégaires sous certaines conditions, tandis que les sauteriaux auront tendance à rester sur le quant-à-soi et à snober leurs congénères, ne réagissant aux effets de groupements que par des modifications morphologiques et comportementales mineures – notons que cela ne les empêchent pas de se conduire aussi comme des voyous et de ravager quelques cultures.

 

On est une bande de jeunes…

L’Observatoire acridien de la FAO suit de près la menace posée par les criquets en fournissant des prévisions et en donnant l’alerte aux pays menacés d’invasion. Elle résume le potentiel de dévastation du criquet pèlerin ainsi :

Pendant les périodes calmes, appelées rémissions, le Criquet pèlerin se cantonne généralement aux zones arides et semi-arides d’Afrique, du Proche-Orient et de l’Asie du Sud-Ouest, qui reçoivent moins de 200 mm de précipitations annuelles. Cette aire couvre 16 millions de km2 et concerne une trentaine de pays. En période d’invasion, le Criquet pèlerin peut envahir une aire de 29 millions de km2 comprenant 60 pays et représentant 20% de la surface terrestre émergée. Il menace alors les moyens de subsistance d’un dixième de la population mondiale.

En ce moment c’est plutôt calme, à part par là (je préfère vous prévenir au cas où vous projetteriez une excursion à la va-vite) :

En 2003 et 2004, la situation était bien plus dramatique. Des millions d’hectares de culture ont été ravagés au Sahel et au Maghreb par des essaims de criquets pèlerins. Malgré des traitements effectués sur des superficies considérables, les ravageurs ont envahi massivement la Mauritanie, le Sénégal, le Mali, puis le Niger, le Tchad, le Burkina Faso, avant de s’aventurer, pour quelques essaims, jusqu’aux iles du Cap Vert !

En 2011, c’est dans dix pays du Caucase et d’Asie centrale, parmi lesquels le particulièrement pauvre et vulnérable Tadjikistan, qu’était tirée la sonnette d’alarme anti locustes. Enjeu : protéger 25 millions d’hectares de terres cultivables…

 

Quand il n’y en a qu’un, ça va encore…

Les essaims de criquets ont des tailles très variables, de moins de 1 km2 à plusieurs centaines de km2. Mais quant on sait qu’un essaim contient au moins 40 millions de criquet au km2 et qu’un criquet pèlerin consomme quotidiennement son propre poids en nourriture fraîche, soit environ 2 grammes, on se rend compte sans même faire le calcul du potentiel de nuisance d’un essaim lancé sur votre carré de laitues. Ajoutez à cela une durée de vie de 3 à 5 mois (pour le pèlerin), 3 pontes de 80 œufs par femelle durant leur durée de vie et des distances parcourues pouvant aller jusqu’à 130 km par jour vent dans les ailes, et vous aurez tôt fait de déclarer forfait pour passer à la salade en sachet.


Ton corps change, c’est normal

Quand les conditions, variables d’une espèce à l’autre, sont idéales à la reproduction, les effectifs augmentent, ce qui induit un changement de comportement. Individu solitaire, le criquet devient grégaire (en passant par des étapes intermédiaires). Son apparence se modifie également : dans le cas du Criquet pèlerin, les ailés solitaires sont bruns alors que les ailés grégaires sont roses (immatures) ou jaunes (matures)… La différence est telle qu’on a cru jusqu’en 1921 avoir affaire à des espèces différentes :

Pourquoi les criquets changent-ils de comportement et deviennent-ils grégaires ?

Le phénomène et ses manifestations sont complexes (voir le site du CIRAD pour plus de détails) mais le principal facteur déclenchant est la densité (un peu comme dans un concert de rock, oui) :

En simplifiant, il suffit de rassembler des individus d’une même espèce grégariapte pour observer des effets immédiats sur eux-mêmes (changement de livrée tégumentaire, de comportement) et des effets transmis sur leur descendance (CIRAD)

D’autres facteurs viennent renforcer ou réduire les effets du choc densitaire subi :
– la photopériode (rapport jour/nuit)
– la température,
– la sécheresse,
– la pauvreté de l’alimentation,
– la teneur de l’air en gaz carbonique,
– la salinité du sol.

Mais quel est donc le mécanisme à l’oeuvre ?

Selon une étude de décembre 2011 publiée dans PNAS, le changement de comportement du criquet pèlerin serait provoqué par l’action d’une enzyme, la “protéine kinase A”, dont les fonction de régulation dans la cellule sont nombreuses (sucre, lipides, glycogènes). Après inhibition de la protéine kinase A, le comportement grégaire du criquet pèlerin disparaît.

Ce résultat serait cohérent avec une découverte antérieure qui impliquait la sérotonine dans le processus (la sérotonine joue un rôle d’hormone et de neurotransmetteur dans le système nerveux central ; elle est souvent impliquée avec la protéine kinase A dans des processus chimiques communs).

Reste à pouvoir inhiber la production de protéine kinase A dans la nature afin de prévenir la formation d’essaims géants, ce qui risque de soulever les mêmes difficultés pratiques que pour les traitements insecticides actuels (on n’arrive à traiter que les essaims suffisamment denses).

On pourra sinon toujours en embaucher quelques uns comme figurants pour le prochain clip de Machine Head. Ou les menacer avec un wéta géant !

Ça devrait les tenir tranquilles un moment…

 

combien serons-nous à table ? (hs#4 : BAD RELIGION, Ten in 2010)

Le headbanging science du mois pouvait difficilement échapper à Bad Religion, dont le leader Greg Graffin, à la fois punk-rocker et scientifique, semble exister uniquement pour justifier l’existence de cette rubrique (comme vous l’aurez compris en lisant la critique de son ouvrage,  Anarchy Evolution)…

headbanging science,la rubrique musicale des titres qui ont (presque) un rapport avec la science : #4 BAD RELIGION – TEN IN 2010

 

 

Et pourtant, science et rock ne font pas forcément bon ménage, il suffit de se plonger dans la discographie de Bad Religion pour s’en rendre compte : la thématique scientifique est parfois là, à l’arrière-plan, mais les paroles sont essentiellement politiques et sociales.

Le morceau Ten in 2010 constitue donc une étonnante rareté : pas forcément parmi les meilleurs titres de BR d’un point de vue musical, mais une toile de fond scientifique aux résonances très actuelles – et, ce qui ne gâche rien, visuellement l’un des clips les mieux réussis du groupe :

Il est bien sûr question de peuplement humain et de ressources en nourriture et en eau pour assurer la survie de tout ce beau monde : Ten in 2010, 10 milliards d’être humains en 2010, d’après Greg Graffin.

bougez pas devant, je vous compte

Il n’aura échappé à personne que nous sommes encore loin du compte. La projection était-elle réaliste à l’époque ? Même pas. Les projections de population mondiale de la série des Nations-unies disponibles en 1995 (Ten in 2010 est sorti en 1996) prévoyaient, 6,16 milliards d’habitants sur la planète en 2000, 8,29 en 2025 et (seulement) 9,83 en 2050.

Ten in 2010 n’avait donc rien d’une projection réaliste et sacrifiait allègrement la science à la rime. Ce qui soulève certaines questions.

la science est-elle soluble dans le rock ?

En 2007, le magazine américain Blender, qui se veut le guide ultime en matière musicale, classait Greg Graffin en 28ème position parmi les… pires compositeurs de paroles dans le monde du rock. Voici ce qui valait au chanteur de BR cette piètre performance :

  • 28 – Greg Graffin. Revenge of the nerd.
  • The Bad Religion singer has a list of academic qualifications as long as your arm-including a master’s in geology and a biology Ph.D.-so it’s little wonder he writes exactly like a concerned student. Graffin hit the ground running in 1982 with the naive indignation of « Fuck Armageddon … This Is Hell! » (« We’re living in the denouement of the battle’s gripping awe ») and has maintained similar standards ever since.
  • Worst lyric: « The arid torpor of inaction will be our demise » (« Kyoto Now »)
  • Bonus Worser lyric: « Damn your transcendental paralysis/We can work together and make sense of this » (« The Hopeless Housewife »)

On peut trouver l’exercice idiot, mais Blender n’a pas que des mauvais goûts (la preuve, le classement est dominé par Sting).

Par ailleurs, Greg Graffin lui-même déclare dans Anarchy Evolution ne connaître aucune bonne chanson sur la science….

tous ces mots compliqués sont-ils bien nécessaires ?

Voici ce que répondait Brooks Wackerman, batteur du groupe, en 2010, à une question sur le style « scientifique » de Greg Graffin :

  • En toute honnêteté, comprends-tu toutes les paroles de Greg Graffin ?
  • Non (rires). Je note régulièrement des mots dans le creux de ma main pour ensuite lui demander leur signification. Il y a peu de groupes de punk qui utilisent des mots à 13 syllabes. Chaque disque de Bad Religion possède toujours de mots ou des thèmes dont je n’ai jamais entendu parler.

2 comprimés, à chaque écoute de Bad Religion

Il est vrai que peu de groupes parlent de téléologie (ou science de la finalité, écueil courant de l’évolutionnisme qui tend à assigner un sens à l’évolution) dans leur chanson. Cela ne facilite pas la compréhension. Mais cela nuit-il vraiment aux idées du groupe ?

Dans une interview de 2010, Jay Bentley, bassiste du groupe, reconnaissait une petite erreur de 3,4 milliards dans le décompte de Ten in 2010 mais demandait à recompter. Au-delà du chiffre, il insistait surtout sur le message de la chanson, toujours d’actualité.

La deadline que l’on s’est désormais fixée, c’est 2050. A cette date, il s’agira d’offrir à manger et à boire à 9 milliards d’être humains – la prévision de Ten in 2010 était décidément loin du compte.

En sera-t-on capable ?

Le sujet prête à débat mais un consensus semble s’installer : il est théoriquement possible de nourrir la planète dans ce scénario, mais pratiquement, nous sommes encore loin d’être en ordre de marche.

Nine in 2050 ? ou quand Graffin sonne mieux que Griffon

Au début du mois de mars 2011, l’Académie des Sciences présentait un rapport de 300 pages intitulé “Démographie, climat et alimentation mondiale”. Rapporteur, l’agronome Michel Griffon. Qui soulignait en substance que le défi était “extrêmement complexe”.

Au chapitre des préconisations, quelques idées plus ou moins rebattues :

  • contrôler voire proscrire la fabrication de biocarburants de première génération à partir de céréales ou d’oléagineux
  • maintenir les capacités de production importantes de la profession agricole européenne mais en les réorientant vers des productions écologiquement acceptables
  • inciter chacun à réduire sa consommation de produits d’origine animale

Et également la création d’une sorte de Giec alimentaire dont la mission serait d’orienter les politiques sur les questions d’alimentation (Claude Allègre, qui doit en connaître un rayon sera ravi).

Graffin contre-attaque : proposition 1, utiliser les disques comme moules à gateau

Michel Griffon est le père du concept d’agriculture écologiquement intensive. Oui, vous avez bien lu. Ecologiquement intensive.

Le principe est d’utiliser au mieux le fonctionnement de la nature et des éco-systèmes (par exemple en promouvant la lutte biologique), mais sans remettre en cause les cultures intensives – ni du reste, le recours aux pesticides ou aux OGM.

Pour l’heure, cette troisième voie fait surtout florès dans la sphère politique (le Grenelle l’a boostée, le PS, en mal d’idée sur l’agriculture, l’a adoptée). Difficile d’y voir autre chose qu’une posture, un concept vague que son inventeur lui-même juge délicat à mettre en oeuvre : pour être efficace, il est nécessaire de prendre en considération les caractéristiques de chaque sol, chaque bassin versant, de s’adapter à chaque exploitation, voire chaque parcelle.

Une gageure qui ne peut qu’être nourrie à coup d’innovations. Or, comme le déplore Michel Griffon, le manque de recherches sur le sujet est un frein.

Cela tombe bien, ledit Griffon se trouve être Directeur général adjoint de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR). Et quel est la raison d’être de cette agence ? « Favoriser l’émergence de nouveaux concepts, accroitre les efforts de recherche sur des priorités économiques et sociétales, intensifier les collaborations public-privé et développer les partenariats internationaux. » Etrange, non ?

On voudrait nous faire croire que l’agriculture écologiquement intensive est une entourloupe qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Et puisqu’on n’est pas plus avancé, autant retourner à Ten in 2010, finalement plus pertinent.

ne croissez pas, ne multipliez pas

Ten In 2010

Lyrics by Greg Graffin

Parched, cracked mouths, empty swollen guts
Sun-baked pavement encroaches on us
Haves and have-nots together at last
Brutally engaged in mortal combat
10 in 2010
What kind of God orchestrates such a thing?
10 in 2010
Ten billion people all suffering
10 in 2010
Truth is not an issue just hungry mouths to feed
10 in 2010
Forget what you want, scrounge the things you need
Happy and content it can't happen to you
10 in 2010
Fifteen years we'll think of a solution
10 in 2010
It won't just appear in one day
10 in 2010
For ten in twenty-ten we're well on our way
10 in 2010
Like piercing ear darts, I heard the news today
10 in 2010
10 billion people... coming your way

 

et maintenant, allez donc confesser ce que vous gaspillez sur le site de Bad Religion

Le headbanging science du mois pouvait difficilement échapper à Bad Religion, dont le leader Greg Graffin, à la fois punk-rocker et scientifique, semble exister uniquement pour justifier l’existence de cette rubrique (comme vous l’aurez compris en lisant la critique de son ouvrage Anarchy Evolution http://lebloug.fr/index.php/en-1-du-bloug/lorigine-des-especes-de-punks-insane-lectures-2/).

Et pourtant, science et rock ne font pas forcément bon ménage, il suffit de se plonger dans la discographie de Bad Religion pour s’en rendre compte : la thématique scientifique est parfois là, à l’arrière-plan, mais les paroles sont essentiellement politiques et sociales.

Le morceau Ten in 2010 constitue donc une étonnante rareté : pas forcément parmi les meilleurs titres de BR d’un point de vue musical, mais une toile de fond scientifique aux résonances très actuelles – et, ce qui ne gâche rien, visuellement l’un des clips les mieux réussis du groupe :

Il est bien sûr question de peuplement humain et de ressources en nourriture et en eau pour assurer la survie de tout ce beau monde : Ten in 2010, 10 milliards d’être humains en 2010, d’après Greg Graffin. Il n’aura échappé à personne que nous sommes encore loin du compte. La projection était-elle réaliste à l’époque ? Même pas. Les projections de population mondiale de la série des Nations-unies disponibles en 1995 (Ten in 2010 est sorti en 1996) prévoyaient, 6,16 milliards d’habitants sur la planète en 2000, 8,29 en 2025 et (seulement) 9,83 en 2050. Ten in 2010 n’avait donc rien d’une projection réaliste et sacrifiait allègrement la science à la rime. Ce qui soulève certaines questions.

La science est-elle soluble dans le rock ?

En 2007, le magazine américain Blender, qui se veut le guide ultime en matière musicale, classait Greg Graffin en 28ème position parmi les… pires compositeurs de paroles dans le monde du rock. Voici ce qui valait au chanteur de BR cette piètre performance :

28 – Greg Graffin. Revenge of the nerd.

The Bad Religion singer has a list of academic qualifications as long as your arm-including a master’s in geology and a biology Ph.D.-so it’s little wonder he writes exactly like a concerned student. Graffin hit the ground running in 1982 with the naive indignation of « Fuck Armageddon … This Is Hell! » (« We’re living in the denouement of the battle’s gripping awe ») and has maintained similar standards ever since.

Worst lyric: « The arid torpor of inaction will be our demise » (« Kyoto Now »)

Bonus Worser lyric: « Damn your transcendental paralysis/We can work together and make sense of this » (« The Hopeless Housewife »)

On peut trouver l’exercice idiot, mais Blender n’a pas que des mauvais goûts (la preuve, le classement est dominé par Sting).

Par ailleurs, Greg Graffin lui-même déclare dans Anarchy Evolution ne connaître aucune bonne chanson sur la science….

C’est compliqué tous ces mots…

Voici ce que répondait Brooks Wackerman, batteur du groupe, en 2010, à une question sur le style « scientifique » de Greg Graffin :

http://www.addictif-zine.com/interviews/item/1960-bad-religion-interview

En toute honnêteté, comprends-tu toutes les paroles de Greg Graffin ?

Non (rires). Je note régulièrement des mots dans le creux de ma main pour ensuite lui demander leur signification. Il y a peu de groupes de punk qui utilisent des mots à 13 syllabes. Chaque disque de Bad Religion possède toujours de mots ou des thèmes dont je n’ai jamais entendu parler.

Il est vrai que peu de groupes parlent de téléologie (ou science de la finalité, écueil courant de l’évolutionnisme qui tend à assigner un sens à l’évolution) dans leur chanson. Cela ne facilite pas la compréhension. Mais cela nuit-il vraiment aux idées du groupe ?

Dans une interview de 2010, Jay Bentley, bassiste du groupe, reconnaissait une petite erreur de 3,4 milliards dans le décompte de Ten in 2010 mais demandait à recompter.

Au-delà du chiffre, il insistait surtout sur le message de la chanson, toujours d’actualité.

http://www.vacarm.net/content/view/5502/102/

La deadline que l’on s’est désormais fixée, c’est 2050. A cette date, il s’agira d’offrir à manger et à boire à 9 milliards d’être humains – la prévision de Ten in 2010 était décidément loin du compte.

2050… suffisamment loin pour ne pas trop s’inquiéter ?

Le sujet prête à débat mais un consensus semble s’installer : il est théoriquement possible de nourrir la planète dans ce scénario, mais pratiquement, nous sommes encore loin d’être en ordre de marche.

Nine in 2050 – ou quand Graffin sonne mieux que Griffon

Au début du mois de mars 2011, l’Académie des Sciences présentait un rapport de 300 pages intitulé “Démographie, climat et alimentation mondiale”. Rapporteur, l’agronome Michel Griffon. Qui soulignait en substance lors de la présentation des recommandations de ce rapport que le défi était “extrêmement complexe”.

Au chapitre des préconisations, quelques idées plus ou moins rebattues :

- contrôler voire proscrire la fabrication de biocarburants de première génération à partir de céréales ou d’oléagineux”

- maintenir les capacités de production importantes de la profession agricole européenne mais en les réorientant vers des productions “écologiquement acceptables”

  • inciter chacun à réduire sa consommation de produits d’origine animale

  • Et également la création d’une sorte de Giec dont la mission serait d’orienter les politiques sur les questions d’alimentation (Claude Allègre, qui doit en connaître un rayon sera ravi).


Ainsi qu’une instance de veille “L’Observatoire prospectif des Situations et marchés alimentaires mondiaux”, une institution indépendante, serait chargé de suivre les “évolutions et en particuliers les signaux faibles, de proposer des scénarios, d’anticiper les dangers et suggérer des voies de solution”.

Marcel Griffon est le père du concept d’agriculture écologiquement intensive. Oui, vous avez bien lu. Ecologiquement intensive.

Le principe est d’utiliser au mieux le fonctionnement de la nature et des éco-systèmes (par exemple en promouvant la lutte biologique), mais sans remettre en cause les cultures intensives – ni du reste, le recours aux pesticides ou aux OGM.

Pour l’heure, cette troisième voie fait surtout florès dans la sphère politique (le Grenelle l’a boostée, le PS, en mal d’idée sur l’agriculture, l’a adoptée). Difficile d’y voir autre chose qu’une posture, un concept vague que son inventeur lui-même juge délicat à mettre en oeuvre : pour être efficace, il est nécessaire de prendre en considération les caractéristiques de chaque sol, chaque bassin versant, de s’adapter à chaque exploitation, voire chaque parcelle.

Une gageure qui ne peut qu’être nourrie à coup d’innovations. Or, comme le déplore Marcel Griffon, le manque de recherches sur le sujet est un frein.

Cela tombe bien, Marcel Griffon se trouve être Directeur général adjoint de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR). Et quel est la raison d’être de cette agence ? « Favoriser l’émergence de nouveaux concepts, accroitre les efforts de recherche sur des priorités économiques et sociétales, intensifier les collaborations public-privé et développer les partenariats internationaux. » Etrange, non ?

On voudrait nous faire croire que l’agriculture écologique est une entourloupe qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Et puisqu’on n’est pas plus avancé, autant retourner à Ten in 2010, finalement plus pertinent.

loups mutants à Tchernobyl ? (hs#3 : MUNICIPAL WASTE, Wolves of Chernobyl)

Après avoir évolué avec Pearl Jam (à lire ici ), régressons franchement avec ce troisième volet de headbanging science consacré à Wolves of Chernobyl de Municipal Waste (le groupe préféré de Loulou Nicollin).

headbanging science,la rubrique musicale des titres qui ont (presque) un rapport avec la science : #3 MUNICIPAL WASTE – WOLVES OF CHERNOBYL

 

 

Emblème d’un revival crossover thrash, le combo de Richmond assume ouvertement son côté old school et sa philosophie party metal ras les baskets. Il n’y a qu’à voir…

***

Ce n’est pas évident d’emblée à la vision de ce clip – dans lequel il n’y a pas la queue d’un loup et plus de skate que de nuke – mais Wolves Of Chernobyl est plus profond qu’il n’y paraît ! Tiré de leur 4ème album, Massive Aggressive, ce morceau ne fait pas que nous ramener musicalement deux décennies en arrière. Il remet aussi sur le devant de la scène un événement majeur de notre époque, dont on fêtera le 25ème anniversaire prochainement, la catastrophe de Tchernobyl, ainsi résumée dans le le premier couplet, très sérieux :

Sometime not long ago on a day like this
Manmade energy caused the worst accident
People died fast and some passed through time
Radiation sickness wounds those who survive

Ça part ensuite en vrille, avec des loups mutants, un beau massacre en perspective et cette conclusion sinistre :

Nothing’s going to stop it
It’s a massacre

Massacre causé par des loups mutants chez Municipal Waste, certes, mais massacre tout de même,? Soit un  acte meurtrier perpétré sur une quantité non négligeable de personnes. Peut-on parler de massacre dans le cas de Tchernobyl ?

Pas exactement, comme le décortique superbement le philosophe et épistémologue Jean-Pierre Dupuy dans Retour à Tchernobyl, journal d’un homme en colère, paru en 2005. C’est d’abord une question de définition. Tchernobyl est ce que Jean-Pierre Dupuy nomme un mal systémique, un mal qui n’est le produit d’aucune intention de faire le mal. Comme l’écrivait Günther Anders à propose d’Hiroshima, « Nulle part il n’est trace de méchanceté, il n’est que des décombres ». Cela vaut aussi pour Tchernobyl Et pour les désastres à venir, selon Dupuy :

Les catastrophes majeures qui barrent notre horizon seront moins le résultat de la méchanceté des hommes ou de leur bêtise que de leur courte vue ». Et d’ajouter : « Du mal systémique, il [l'homme] ne se soucie aucunement. C’est sans doute que l’ennemi est trop proche, puisque l’ennemi c’est lui-même. C’est quelque chose que les promoteurs du principe de précaution n’ont toujours pas compris.

***

La nature du « massacre » précisée, qu’en est-il de son ampleur ? Il y a fort à parier que, d’ici quelques semaines (la catastrophe a eu lieu le 26 avril 1986), quelques papiers ranimeront la controverse à propos du bilan humain de Tchernobyl. En 2005, le ‘Forum Tchernobyl’ (un groupe d’institutions spécialisées des Nations Unies, fondé par l’ AIEA, l’Agence internationale de l’énergie atomique, par ailleurs prix Nobel de la paix, ça ne s’invente pas) publiait une estimation officielle d’environ 4000 décès dus à Tchernobyl, incluant une cinquantaine de morts suite à une irradiation aiguë, une dizaine d’enfants décédés d’un cancer de la thyroïde, le reste étant le nombre estimé de victimes qui décèderaient d’un cancer radio-induit. Au sujet de ce bilan, Jean-Pierre Dupuy s’attache à dénoncer deux choses.

  1. Tout d’abord le relativisme, pratiquement réflexe, qui consiste à minimiser l’importance numérique de la catastrophe, en procédant à des comparaisons éventuellement douteuses : qu’est-ce donc que 4000 morts par rapport aux catastrophes minières / aux morts de cancers naturels / aux millions de paysans ukrainiens condamnés par Staline à mourir de faim… Comme l’explique Dupuy, « Dans l’univers du sens, les comparaisons quantitatives ne sont pas pertinentes ». Et de fantasmer sur une réponse appropriée à ce type d’argument : « ne sachant quoi lui répondre, je l’abats d’une balle de revolver : quelle importance, puisqu’après tout il faut bien mourir de quelque chose. »
  2. Ensuite, l’art des technocrates onusiens de « subtiliser les victimes », grâce à « l’invisibilité des morts de Tchernobyl ». Faute de temps et de moyens, la modélisation s’est substituée à l’enquête épidémiologique comme outil d’analyse des conséquences de la catastrophe. Or la méthode a ses limites. Dès lors que l’on parle d’effets stochastiques, c’est-à-dire d’effets non déterministes (qui n’apparaissent pas selon le principe d’une cause induisant toujours le même effet), on entre dans le domaine de la statistique et de l’interprétation. Or, à l’heure des bilans, comme le regrette Jean-Pierre Dupuy, « la tentation est forte d’envoyer les effets stochastiques à la trappe. » Autrement dit, de conclure que l’immense majorité des victimes n’existent pas parce qu’il est impossible de les nommer. De les gommer parce qu’on ne peut dire avec certitude qu’elles meurent d’un cancer causé par la catastrophe.

Dupuy reste mesuré et avance entre 30000 à 40000 morts causées par Tchernobyl (d’autres estimations avancent des nombre à six chiffres). Il fustige par contre la dangereuse « infirmité mentale » des experts, persuadés de détenir une « vérité scientifique » et incapables d’appréhender le « monde humain, fait de significations, de symboles et de sens. » Pour Dupuy, le langage utilisé ne doit pas être celui des causes mais celui de la responsabilité : « La catastrophe de Tchernobyl aura été responsable de dizaines de milliers de morts, aucune vérité ‘scientifique’ n’a le pouvoir de s’opposer à cette vérité ‘humaine’ ».

La dernière pique de Retour de Tchernobyl est réservée aux journalistes qui accompagnaient Dupuy lors de son voyage sur les lieux de la catastrophe et qui avaient du mal à « transformer Tchernobyl en événement ». Un compagnon de voyage de Dupuy lui écrira à ce sujet : « Ils ont raté l’essentiel de ce voyage : l’invisibilité du mal. (…) D’ailleurs l’un d’entre eux ne m’a-t-il pas dit que pour lui et ses confrères Tchernobyl ne constitue pas un événement, en ce que justement il n’y a rien à montrer, rien à voir ? Certes, a-t-il ajouté, il y a des victimes mais on ne sait pas où elles sont ni ce qu’elles ont souffert. »

S’ils écrivent sur le 25ème anniversaire, les journalistes ne reviendront donc peut-être pas sur le bilan chiffré de la catastrophe. Mais ils pourront peut-être méditer sur les apparentes divagations de Municipal Waste… Des études sur des rongeurs ont mis en évidence des taux de mutations deux fois plus élevés que la moyenne et qui se compliquent et s’aggravent au fil des générations. La population des loups n’est pas encore mutante mais elle croît. Et elle a la rage… Au sens propre : une attaque contre des ouvriers a même été recensée en août 2009.

Wolves of Chernobyl, Driven by madness, You Can’t survive, Wolves of Chernobyl!

Brrr, et si Municipal Waste disait vrai en fin de compte ?

***

Wolves Of Chernobyl

Lyrics

Sometime not long ago on a day like this
Manmade energy caused the worst accident
People died fast and some passed through time
Radiation sickness wounds those who survive

Now mother nature attempts to rebuild
Fights to bring back all the things man has killed
Wildlife must feed while the ground grows with warmth
And DNA structured begin to reform

A force is growing hungry
In the black of night
A thirst driven by madness
Quenched by human life

Where will you run when the pack’s after you?
Do you think you can hide until the howling is through?
Victims can’t escape no matter how hard they flee
The beasts are running wild and all they want is to feed

Beware the pack is coming for you!

Snow stained red
Howls fill the air
Nothing’s going to stop it
It’s a massacre

Wolves of Chernobyl

Their numbers grow larger
A glow lights their eyes
Continues to hunt those alone in the night
Believe it’s a legend
Consider it a myth
Consider it luck the fact you still exist

Was the mother nature’s choice to rebuild
A way to pay us back for all we have killed
They’ll soon grow in number each person they slay
And sooner or later we’ll become their prey

Beware the pack is coming for you!

Snow stained red, howls fill the air
Wolves of Chernobyl
Nothing’s going to stop it
It’s a massacre
Wolves of Chernobyl
Driven by madness
You Can’t survive
Wolves of Chernobyl!

***

Le site de Municipal Waste est actuellement en cours de décontamination

Le site de l’illustrateur très hardcore de la pochette, Andrei Bouzikov