sasquatch comme ça chez les pseudoscientifiques (hs#27 TENACIOUS D, Sasquatch)

Tenacious D dans le headbanging science ? Avec un morceau intitulé Sasquatch, l’équivalent nord-américain du yéti ? Il y avait au moins deux bonnes raisons de douter de la pertinence d’un billet consacré au duo satirique composé de Jack Black et Kyle Gass, tous deux chanteurs et guitaristes acoustiques.

La première tenait à la caution rock. Le doute a été vite levé : Tenacious D a tout de même ouvert pour Pearl Jam ou Metallica et accueilli comme batteurs rien moins que Dave Grohl ou Brooks Wackerman (Bad Religion) ! C’est un tout autre invité que l’on peut voir derrière les fûts dans cette vidéo (à 1:55). Un « kickin ass » style, qui ne fait hélas pas l’affaire pour Tenacious, pas à l’aise à l’idée de former un power trio…

 

La deuxième raison tenait à ligne de profond sérieux de ce blog (oui, parfaitement)… Un sujet de cryptozoologie, après avoir consacré un numéro du headbanging science aux rumeurs de hoax lunaire, paraissait risqué.

Mais, aussi étrange que cela puisse paraître, il existe une actualité sur le sasquatch qui, à défaut d’être sérieuse en soi, a quelque chose à nous dire sur le fonctionnement de la science qui vaut la peine d’être relevé. Figurez-vous que…. (roulement de tambour) des données viennent de prouver de façon concluante que le sasquatch existait bel et bien. Mieux, il s’agirait d’une espèce d’hominidé directement apparentée à Homo sapiens. Étonnant non ? Et bien sûr, totalement loufoque. Mais voyons de quoi il retourne exactement.

 

headbanging science tenacious D


Syndrome de Galilée chez une ancienne vétérinaire

En novembre 2012, un communiqué de presse émanant d’un laboratoire de génétique texan (DNA Diagnostics), claironnait avoir séquencé le génome du sasquatch à partir d’une centaine d’échantillons de poils. Les données mitochondriales indiquaient une parenté directe avec Homo sapiens (via la lignée maternelle : le génome mitochondrial est transmis par la mère). En revanche, du côté du génome nucléaire (transmis par les deux parents), c’était un peu le bordel : le sasquatch était apparenté avec l’homme, d’autres primates et des trucs inconnus. Tout cela n’avait aucun sens, ce que PZ Myers, auteur du blog Pharyngula, railla à l’époque, évoquant un travail bâclé, de toute évidence entaché de niveaux élevés de contamination de l’ADN, se demandant si on allait aussi trouver des gènes de raton laveur et d’opossum dans les séquences analysées.

Melba Ketchum, auteure du papier (et par ailleurs ancienne vétérinaire reconvertie dans la génétique : elle dirige DNA Diagnostics) estimait être victime d’une cabale qui l’avait empêchée de publier ses résultats dans une revue scientifique à comité de lecture (la démarche scientifique consiste à faire évaluer ses travaux par les pairs et les soumettant à des revues à comité de lecture, qui décident si le travail de recherche soumis pour publication est acceptable ou non), se plaignant amèrement de ce que certaines n’aient même pas regardé son manuscrit et qu’un relecteur ait osé se moquer ouvertement de son travail dans son commentaire.

Melba Ketchum avait absolument raison. Il était absolument invraisemblable qu’un relecteur ait pu se moquer ouvertement de ses travaux : tous auraient dû le faire.

Melba Ketchum revient - et elle n'est pas contente

Melba Ketchum revient – et elle n’est pas contente

L’histoire aurait dû s’arrêter là, mais Melba Ketchum, évoquant un « effet Galilée » (il fallait oser !), n’avait pas dit son dernier mot.

 

On n’est jamais si bien servi que par soi même

Comment est-elle malgré tout parvenue à faire publier ses “résultats” ?

Tout simplement en rachetant et en renommant une revue ! Aussitôt créé, aussitôt publié ! DeNovo, c’est le nom de cette nouvelle revue en ligne, s’est fendue d’une édition spéciale comportant en tout et pour tout un seul article, celui de Melba Ketchum :

“Novel North American Hominins, Next Generation Sequencing of Three Whole Genomes and Associated Studies.” Authors: Ketchum MS, Wojtkiewicz PW, Watts AB, Spence DW, Holzenburg AK, Toler DG, Prychitko TM, Zhang F, Bollinger S, Shoulders R, Smith R. DeNovo. 13 February 2013.

DeNovo entend “accélérer la science”. Tu m’étonnes… L’éthique veut que les éditeurs des revues scientifique ne supervisent pas la publication de travaux de leur propre institution de recherche – et encore moins leurs propres travaux ! Pour compléter la farce, la revue est soi-disant en accès libre, mais il vous en coûtera $30 pour acquérir l’article ! Il n’a été envoyé avant publication qu’à certains blogueurs « crypto-friendly », avec embargo…

 

Et le sasquatch dans tout ça ?

Sur la forme, relevons en vrac : que l’équipe est essentiellement composée d’experts en médecine légale et ne comporte pas d’expert des primates ; qu’on ne sait pas grand chose sur la façon dont les échantillons de poils de sasquatch ont été collectés  ; que l’article  contient des illustrations de sasquatch qui font un peu désordre pour une revue scientifique, dont une vidéo de ce qui ressemble à une couverture sale planquée dans des fourrés

Sur le fond, il est évident que les conclusions vont totalement à contresens des données rapportées :

  • Que l’ADN mitochondrial corresponde à celui d’Homo sapiens ne pose pas de problème en soi si l’on admet que ce sont des femmes qui se sont reproduites avec [quelque chose] et ont donné naissance à des hybrides. Le hic est que cet ADN provient de 16 populations différentes, la plupart d’Europe et du Moyen-Orient, quelques unes africaines et amérindiennes ! La spéciation ayant eu lieu il y a 15 000 ans, on ne devrait trouver que des séquences d’Indiens nord-américains… Mais les auteurs ne s’arrêtent pas à ce détail et spéculent que ces populations ont été se balader en Amérique via le Groenland. La seule explication qui tienne est en fait celle d’une multi contamination des échantillons d’ADN de bestiole par celui des humains qui les ont récoltés ou manipulés.
  • Pour ce qui est du génome nucléaire, difficile d’en dire quoi que soit. Certains tests révèlent une parenté avec l’homme, d’autres avec un primate non identifié, d’autres encore ne révèlent rien du tout. Selon John Timmer, du site arstechnica.com, les résultats sont ceux qu’on pourrait obtenir si on essayait de mixer de force de l’ADN de deux espèces non étroitement apparentées. Par exemple Melba Ketchum avec un vrai scientifique. On ne parlerait donc plus de simple contamination, mais bel et bien de fraude.

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Que conclure de cette intrusion de la pseudo-science sur les terres de la science officielle ? 3 choses.

  • Premièrement, que le système du peer-review, malgré ses défauts, présente des garanties d’étanchéité assez utiles. Les tentatives faites par les « sciences » créationnistes pour le copier, en créant leurs propres revues à comités de lecture, hostiles à l’évolution, n’ont pas donné grand-chose de concluant. Pour les auteurs, copier la démarche scientifique est couteux en temps et ne leur rapporte au final pas grand chose en termes de crédibilité. Compte tenu de l’écho scientifique nul qu’aura rencontré la tentative sur le sasquatch, on peut espérer les aficionados de Nessie, par exemple, réfléchiront à deux fois avant de soumettre leurs manuscrits à DeNovo.

 

  • Deuxièmement, que la sphère médiatique, pourtant prompte à s’emballer, se comporte plus intelligemment en matière de science qu’on ne veut bien le dire. Jusqu’à présent, je n’ai relevé l’information de la « découverte » du sasquatch que sur le site 7sur7.be – parmi des informations capitales telles que : « Cent pierres retrouvées dans l’estomac d’un labrador » ou « Elle a des cheveux longs de six mètres et demi ». Un bémol toutefois, le communiqué de presse de novembre 2012 que nous avons mentionné plus haut avait fait l’objet d’un article bien gentillet sur le site Maxisciences. Bravo à eux.

 

  • Enfin, qu’il est bien possible que la prochaine étude publiée dans DeNovo prouve, de façon concluante, que Melba Ketchum est un hybride de Robert Mitchum et d’une pêche melba.

 

Pour revenir à Tenacious D, vous vous demandez tous bien entendu qui tient le rôle du sasquatch. Il s’agit d’un autre acteur, John C Reilly, que l’on peut voir ici pousser la chansonnette au… Sasquatch Festival !

Un festival bien réel lui, dont la prochaine édition aura lieu du 24 au 27 mai 2013, sur le site de The Gorge, dans l’État de Washington. C’est un peu loin, mais sachez que la programmation est plus qu’alléchante (Sigur Ros, Arctic Monkeys, Primus, Bloc Party, BRMC, Red Fang… ) et que c’est dans cet État que la Bigfoot Field Researchers Organization recense le plus de « rencontres » du sasquatch : 556 !

 

A lire, deux bons décryptages (en anglais) dont j’ai pu m’inspirer :

 

Alterscience – postures, dogmes, idéologie (Alexandre Moatti – insane lectures #11)

Qu’est-ce que l’alterscience ? Une autre science, une science différente, dans l’esprit de ses promoteurs, mais aussi une science altérée, dévoyée, dans laquelle postures, dogmes et idéologies prennent le pas. Qui sont les alterscientifiques ? Des scientifiques professionnels ou, à tout le moins des personnes véritablement formées à la science, ne s’autoproclamant pas simplement scientifiques, qui, à un moment ou un autre et pour divers motifs, basculent en quelque sorte de l’autre côté, évoluant en marge de la science tout en cherchant à s’y inscrire coûte que coûte.

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C’est en étudiant les opposants à la théorie de la relativité qu’Alexandre Moatti a commencé à tirer les fils d’un écheveau de théories alterscientifiques qui ne se restreint pas à la physique, mais s’étend aussi à la cosmologie ou aux sciences du vivant. La première partie de l’ouvrage est un examen minutieux de ce qui rassemble les hommes porteurs de ces théories par- delà leurs disciplines et les époques – définissant ainsi ce qui est alterscience et ce qui ne l’est pas. Les invariants sont nombreux. Sur le plan des idées : une théorie (plus ou moins construite, mais l’alterscience ne s’arrête pas à la dénonciation ou au scepticisme et ambitionne d’œuvrer à la construction des connaissances), une attraction – répulsion pour les auteurs de référence (Einstein, Newton, évidemment) qui confine au cas psychiatrique, l’incapacité à saisir les théories récentes faute d’y avoir été formé. Sur le plan des postures : des figures de style récurrentes, la vitupération incessante à l’égard des Académies, une idéologie douteuse qui donne assez prise aux dérives nauséabondes.

Il est remarquable qu’Alexandre Moatti, tout au long de ces portraits d’hommes aussi fascinants que détestables, reste à constante distance sans jamais les réfuter ni les juger, se contentant de les citer et laissant leurs propres paroles opérer contre eux. C’est à peine si, au détour d’une conclusion, il se lâche à ironiser sur ces alter-Galilée des temps modernes autoproclamés, gémissant sur leur sort : « Et pourtant, elle ne tourne pas. » Naturellement, cette manière de faire réclamera un peu d’attention pour ne pas confondre exposé d’une pensée et acquiescement.

Il est particulièrement intéressant de (re)visiter des auteurs des 18e et 19e siècles qui font partie de notre paysage intellectuel sans qu’on sache bien quelles étaient exactement leurs idées – et pour ce qu’Alexandre Moatti nous en livre, il n’est pas certain qu’eux-mêmes l’aient su. Ainsi Saint-Simon, qui n’avait rien compris à la science de son temps ni à Newton, et dont la pensée, sous couvert de tout rapporter à la gravitation, était profondément religieuse. Ainsi Marat, en quête de gloire par l’entremise d’une brève carrière de physicien qui le vit publier des mémoires sur la lumière, sur le feu, sur l’électricité – hélas, c’est dans l’eau qu’il finit par périr. Ainsi Fourier qui emprunte à Newton son nom, mais pas ses idées, se préoccupant de la sexualité des planètes quitte à abandonner toute plausibilité. Ainsi Comte (oui, le père du positivisme), capable de s’enorgueillir de n’avoir pas lu un seul journal depuis 4 ans.

Un autre grand mérite du livre est de constamment resituer cette alterscience dans son contexte historique, alors que l’on a trop fréquemment dans les récits d’histoire des sciences l’impression d’une activité désincarnée. Parce qu’il est beaucoup question d’idéologie, la politique n’est jamais loin. Elle affleure de façon parfois grotesque, à l’occasion d’un discours de Chirac vantant les mérites de Maurice Allais ou d’une lettre de Giscard au créationniste Guy Berthaud (épisodes sans conséquence, mais qui en disent long sur un certain manque de discernement des élites). Plus souvent, elle charrie des relents plus déplaisants : l’antisémitisme semble récurrent (sidérante, cette lettre remplie de haine écrite à Einstein par Le Bon, personnage politiquement inclassable, mais récupéré par Vichy, la Nouvelle Droite ou le Front National) ; les nationalismes instrumentalisent l’alterscience aussi bien que la science (il est marquant que l’antagonisme des nations ait conduit l’immense Haeckel à abandonner sa médaille Darwin lors de l’entrée en guerre en 1914). Toujours sur le plan politique, il est bon de rappeler que l’on trouve, derrière les douces rêveries spatiales d’un Jacques Cheminade, candidat par deux fois à une élection présidentielle dans notre beau pays, les idées bien étranges du « technofasciste » Lyndon Larouche, globalement tues par les journalistes politiques lors de la campagne de 2012. Il est bon de mentionner, aussi, que du côté de « l’ultragauche », l’antiscience n’est pas forcément très éloignée des respectables bacchantes de José Bové, en la personne de certains mouvements rejetant non seulement la technologie en bloc, mais encore le darwinisme. Une position de prime à bord très étrange, mais qui repose sur l’erreur historique ayant consisté à identifier Darwin au darwinisme social et à le ranger du côté du capitalisme (erreur dans laquelle Marx et Engels se fourvoyèrent les premiers). On aboutit ainsi à des considérations aberrantes, taillées dans une forêt de raccourcis, que ne renierait pas Harun Yahya (au sujet de ce dernier, relevons qu’Alexandre Moatti a assisté par deux fois à une intervention publique de son mouvement, ce qui force le respect).

Le soubassement religieux de beaucoup de ces dévoiements de la science donnerait certainement matière à réfléchir aux partisans du dialogue entre science et religion. S’il n’est pas étonnant que la religion soit au centre des oppositions à Darwin, on découvre des prolongements en cosmologie qui ne sont généralement pas mentionnés dans les livres traitant de l’évolutionnisme. Ainsi y eut-il en France en plein 20e siècle, des ingénieurs pour lancer des Cercles d’études centrés sur une théorie géocentrique. Ces ponts ne doivent pas étonner, car dans le petit monde de l’alterscience, on trouve essentiellement tribune auprès d’autres alterscientifiques, quelle que soit leur discipline. C’est pourquoi l’on peut voir notre Georges Salet, polytechnicien et ingénieur du génie maritime, apôtre de l’évolution régressive évoqué ailleurs en ces lieux, intervenir dans les conférences du Cercle de Physique Alexandre Dufour. Il serait intéressant de prolonger l’examen de ces connexions à des cercles plus actuels, quitte à sortir de la définition restrictive de l’alterscience (on peut songer à l’UIP ; aux liens idéologiques entre créationnismes et climatoscepticisme, etc.).

N’allez pas croire que le propos du livre soit si sombre et désespérant qu’il pourrait en avoir l’air. La fréquentation de toute cette tartuferie étalée au grand jour est au contraire réjouissante. On se régale par exemple, de ces suites d’arguments de type « chaudron freudien », consistant à affirmer que la théorie d’untel est fausse tout en avançant qu’elle est de toute façon le fruit d’un plagiat (une variante alterscientifique des bretelles et de la ceinture, d’après le sophisme prêté à Freud : « Je ne t’ai jamais emprunté de chaudron, et d’ailleurs il était déjà percé quand tu me l’as prêté »). Et pour se convaincre, après tout, que ces alterscientifiques ne sont que le produit banal de nos sociétés, on se rappellera que leur plus grande « qualité », ainsi que le rappelle Alexandre Moatti, est ce que Schopenhauer, dans L’Art d’avoir toujours raison, analysait comme « l’obstination à défendre une thèse qui nous semble déjà fausse à nous-même ».

 

Alterscience – Postures, dogmes, idéologies, de Alexandre Moatti, Odile Jacob, 334 p., 23,90 €

 

En savoir +:

Le blog d’Alexandre Moatti

 Casseurs de science, une histoire des malsavants, la critique de l’ouvrage par David Larousserie.

Luc Ferry VS. la science: 4 reconversions possibles

Après avoir brièvement raillé notre ami Luc Ferry (grimé en Lieutenant Templeton « Futé » Peck de l’Agence tous risques du climatoscepticisme français), le bLoug souhaitait revenir sur quelques facettes de celui qui fut tout de même ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche (premier et deuxième gouvernements Raffarin, 2002-2004).

Si nous soulignons la Recherche, c’est que ce sont les rapport de Luc Ferry à la science qui nous intéressent ici. Avant de rappeler quelques uns de ses errements médiatiques sur le sujet, nous pouvons poser cette question préalable : était-il bien raisonnable de confier une telle responsabilité ministérielle à un philosophe qui a publiquement défini sa propre profession comme une sotériologie, soit le domaine de la théologie qui étudie les différentes doctrines du salut. La simple juxtaposition des deux termes soulignés constitue un début de réponse.

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Mais puisqu’il n’est plus ministre, voyons comment nous pourrions recaser Luc Ferry, ce génie, à l’examen des ses plus hauts faits d’armes.

1. Chroniqueur littéraire… du néofinalisme

“De tous les livres dont j’ai parlé cette année, c’est celui que je vous recommande le plus.”

Mais quel est ce chef d’oeuvre, me demanderez-vous. Nul autre que celui de Jean Staune, La sciences en otage. Le philosophe-chroniqueur s’était fait un plaisir d’en faire la promo lors de sa chronique hebdomadaire sur LCI en juillet 2007, en insistant sur l’objectivité et sur l’honnêteté de l’auteur dans la présentation d’un certain nombre de grande controverses, particulièrement celle sur le climat (voir le point 4). (Ca y est, vous avez fini de rire ? Poursuivons.)

Tapez « Luc Ferry science » dans Google (c’est une simple suggestion, ne vous croyez pas obligé d’avoir ce genre d’activité inepte), vous aurez une liste de résultats assez surprenante, dans laquelle à des chances de bien figurer le site de Jean Staune (4e position chez moi). On apprend ainsi, à propos d’un autre ouvrage de Staune, Notre existence a-t-elle un sens ? (ne l’achetez pas, la réponse est oui pour l’auteur), que notre piètre critique s’était déjà fendu d’un : « C’est à la fois un formidable livre d’introduction aux sciences contemporaines, mais aussi une réflexion sur les rapports de Dieu et de la science, un très beau livre. »

Des éloges qui ne surprendront pas lorsqu’on sait que Ferry a eu le bonheur de pouvoir dispenser son savoir à l’Université Interdisciplinaire de Paris (UIP), présidée par Staune (ce n’est d’ailleurs pas une université et elle n’a certainement pas pour objectif de diffuser et confronter les savoirs comme elle le prétend).

Mais le constat d’un échange de bons procédés masque une convergence bien plus profonde. On peut la comprendre à l’examen de la thématique du cours de Ferry à l’UIP, intitulé A la Recherche de Fondements pour notre Temps, et résumé ainsi sur son site :

La religion a régenté, des siècles durant, l’organisation de la société, définissant les normes comportementales des hommes. Aujourd’hui, notre civilisation place la liberté de pensée et d’action au-dessus de tout. Ce refus de normes imposées ” a priori ” rejette ainsi la religion dans la sphère privée. Mais comment pouvoir fonder une éthique de vie si l’homme n’est que le produit d’une histoire strictement contingente ? S’il n’est qu’un ensemble de molécules ? Comment trouver une sagesse pour notre temps, une spiritualité qui puisse être acceptée par une majorité de nos concitoyens ? Il semble que cela ne puisse être construit qu’à travers une conception non réductionniste de l’homme, qui reste encore en partie à préciser.

Ce qui unit les deux personnages, l’anti-darwinien notoire et l’ex ministre de la Recherche (du salut) , est une quête de sens. Soit, une posture de philosophe chrétien assez banale du côté Ferry, et chez Staune, rien d’autre qu’une entreprise organisée d’intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en sciences, pour reprendre le titre de l’indispensable ouvrage dirigé par Jean Dubessy et Guillaume Lecointre (Syllepse, 2001) dans lequel les agissements de l’UIP sont décortiqués (une version d’un texte de Lecointre étant consultable en ligne sur le site de l’AFIS).


2. Poète… de l’anti-écologie libérale

“Le GIEC, c’est un groupement où sont cooptés des patrons d’associations qui sont souvent des idéologues écologistes”

Flirtant sur une mode anti verts à base d’appréciations de haut vol telle que « l’écologie est une affaire de “bobos”, pour ne pas dire d’intellectuels », Luc Ferry entretient ici une confusion très prégnante dans le grand public autour de la nature du GIEC, qui ne serait rien d’autre qu’une machine onusienne à autoentretenir le business de l’alarmisme «réchauffiste».

C’est évidemment totalement faux et mensonger. [Aussi n'est-il pas inutile de rappeler que le GIEC, en tant qu'organisme, salarie moins de dix personnes. Il ne produit aucune recherche – et n'a donc aucune position à défendre. Les centaines d'auteurs qui participent à ses groupes de travail et élaborent ses rapports ne font que synthétiser les connaissances scientifiques, dans un processus transparent auquel les sceptiques participent s'ils le souhaitent. Ces auteurs font partie des meilleurs scientifiques de leurs domaines, ne sont pas rémunérés par l'ONU et sont renouvelés pour partie d'un rapport sur l'autre.]

Pourquoi ces contrevérités ? Parce que Ferry est lui-même essentiellement mû par des considérations idéologiques, comme une bonne part des climatosceptiques français qu’il ne cesse d’épauler. Assimilant écologie et gauchisme, il fait de la défense du libéralisme à tout crin cher à son camp une croisade anti-verts personnelle.

Pour vous en convaincre, je ne saurais trop conseiller ce “débat” : Quelle écologie pour aujourd’hui ? entre Ferry et Nathalie Kosciusko-Morizet. D’abord parce que c’est une des rares occasions qui vous sera donnée de trouver cette dernière presque sympathique tant elle semble consternée par les arguments de son contradicteur, ensuite parce que s’y étalent tous les préjugés de Ferry ainsi que les contre-vérités de la propagande sceptique.

 

3. Jury de thèse… en musicologie

« Je les aime vraiment fraternellement »

(Luc Ferry à propos des Bogdanov, dans l’émission Face aux Français, 05/10/2010)

Je ne me hasarderai pas ici à dénouer les fils du scandale permanent que constituent tant les ouvrages des Bogda que leurs prétention à faire œuvre de science, non plus que je ne m’aventurerai à décrypter les liens qui les unissent de longue date à notre Rastignac de la philo, perpétuellement ceint d’un halo de collusion entre pouvoir, médias et amitiés.

Dans le cadre de notre atelier de reconversion, je me contenterai donc de mentionner ces faits :

  • Luc Ferry a assisté à la soutenance de thèse des frangins (source Le Parisien)
  • Un rapport interne du comité national du CNRS flinguant proprement lesdites thèses a curieusement été enterré en novembre 2003 (voir ce dossier de Marianne)
  • A cette date, l’ami de toujours était en poste au Ministère de tutelle dudit CNRS.

Quelques doutes pouvant être émis quant à la capacité de Luc Ferry à juger de la qualité d’un travail en mathématiques ou en physique, nous lui suggérerons donc un tout autre domaine d’étude : la musicologie. Sur la seule base de ce souvenir de vacances d’un Bogda, tiré d’un papier du Nouvel Obs du 23 juin 2011 :

“On faisait de la guitare sur le port (Port-Grimaud), il (Luc Ferry) chantait “les Sabots d’Hélène”.

Une émotion immodérée m’étreint lorsque je tente de me figurer cette scène charmante.

 

4. Chercheur… en économie du travail

« J’ai beaucoup de travail »

Cette saillie drôlatique fut prononcée par Luc Ferry pour sa défense à l’occasion de la révélation de ses légers manquements à l’éthique professorale : Professeur de philosophie à l’université Paris-Diderot (Paris-7) depuis 1996, notre étourdi n’y aurait en fait jamais mis les pieds, bénéficiant suite à ses aventures ministérielles d’une mise à disposition auprès du Conseil d’analyse de la société (CAS) de 2005 jusqu’en septembre 2010, avant que la loi sur l’autonomie des universités rende cet arrangement caduc (un rappel de l’affaire avec cet article du Monde).

Incroyable mais vrai, le Ministère de l’enseignement supérieur a alors proposé de fournir au philosophe une « délégation du CNRS », c’est-à-dire un nouvel arrangement le dispensant de tout service d’enseignement pendant 6 mois ou un an consacrés à une activité de recherche au CNRS.

L’histoire ne dit pas ce que notre philosophe aurait bien pu chercher, mais Matignon s’est finalement prestement chargée de rembourser Paris-7 des 4 499 euros net mensuels indûment versés à partir de 2010 (pour 192 heures d’enseignement annuelles seulement…).

Valérie Pécresse (Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche à cette date) se chargea de clôre l’affaire d’un brillant :  « il n’était pas payé à ne rien faire. »

Elle avait raison. Rien qu’en 2009, par exemple, Luc Ferry a tout de même publié 5 ouvrages ! Et faire les plateaux de télé pour les vendre, ce n’est pas de la tarte, figurez-vous.

 

les livres dont j’ai parlé cette année, c’est celui que je vous recommande le plus. »

la drôle de cuisine “paléolithique” – interview avec Pascal Picq

« Un régime originel pur est une illusion rousseauiste »

Le paléoanthropologue Pascal Picq, du Collège de France, décrypte le retour au régime paléolithique à l’aune de notre histoire évolutive.

Peut-on définir le régime alimentaire de l’homme ?

Depuis 35 millions d’années, nous les singes avons co-évolué avec les arbres. Les folivores (gorilles, colobes, entelles, etc.) se nourrissent de feuilles. Ils s’adaptent à leurs produits chimiques secondaires grâce à la palatabilité, qui leur évite de s’empoisonner, et en variant les types de feuilles. Pour les frugivores, dont nous faisons partie, les fruits se présentent de manière discrète dans le temps et dans l’espace. Il faut aller les chercher, donc être motivé. La motivation, c’est le plaisir, le sucre. Fondamentalement, nous avons un régime de frugivores omnivores qui nous attire vers les nourritures les plus riches et gustatives, que nous apprenons à choisir et à consommer pour ne pas nous empoisonner, en fonction des ressources des écosystèmes et de nos traditions. L’idée d’un régime originel pur est une illusion rousseauiste. Nous n’avons pas de régime type, qu’il soit paléolithique, néolithique (régime « crétois ») ou autre.

Les toqués du “paléo-fooding” Crédit: Samuel Guigès pour Le Monde

Nos choix alimentaires ne tiennent donc pas uniquement à des besoins physiologiques ?

Non. Le lien social et les traditions sont extrêmement importants. Chez les chimpanzés, la viande n’apporte pratiquement rien dans leur régime alimentaire, mais c’est le moment social le plus important, d’excitation lors de la chasse et ensuite de partage. Manger, c’est être ensemble, créer du lien, courtiser, faire de la politique…. C’est aussi l’objet d’apprentissages de techniques complexes (outils, gestuelles), de partage d’expériences et de traditions. On apprend avec les autres. D’un point de vue éthologique, que ce soit dans les sociétés humaines ou de chimpanzés, les nourritures prisées comme la viande ou les fruits sont l’objet des moments sociaux les plus intenses – les traditions culturelles des chimpanzés tournent d’ailleurs autour de la nourriture, tout comme chez nous !

Comment interpréter ce désir de retour à une alimentation « préhistorique » ?

C’est une vieille habitude dans la culture occidentale que d’aller rechercher une sorte de sagesse dans la prétendue pureté de nos origines. On en trouve la trace dans beaucoup de domaines, tels que la psychologie évolutionniste, dont le postulat est que nos comportements seraient ceux des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique, ou dans la psychanalyse, selon laquelle tout aurait commencé dans les cavernes… Cette mode tient aussi à la nostalgie américaine des grands espaces et de la nature sauvage. On peut s’en amuser – après tout, Cro-Magnon s’en moque bien ! —, mais n’oublions pas qu’il y a derrière tout cela des sujets importants et douloureux liés à la nutrition et à la santé.

 

Entretien avec Pascal Picq publié dans LE MONDE SCIENCE ET TECHNO du 16.03.2012, dans le dossier consacré au régime paléolithique : Cro-Magnon cuistot d’avant-garde ?

 

 

l’Agence tous risques du climatoscepticisme français

 

Après le récent flop du climategate 2, le barnum Sarkozy vient de rattraper ce vieux chewing-gum d’Allègre… lequel n’aurait (ouf!) pas l’intention de briguer un nouveau maroquin… Prudent, le bLoug préfère mettre en garde les lecteurs innocents contre un retour de la plus fine équipe du french climatoscepticisme.. celle de… l’Agence tous risques !

 

Pitch

[« Accusés d'un crime qu'ils n'ont pas commis, n'ayant aucun moyen d'en faire la preuve, ils fuient sans cesse devant leurs poursuivants. Pour subsister, ils emploient leurs compétences. Si la loi ne peut plus rien pour vous, il vous reste un recours, un seul : l'Agence tous risques. »]

Agacé par un climat qu’ils n’ont pas compris, n’ayant aucun moyen d’apporter des preuves, ils se dérobent sans cesse devant leurs contradicteurs. Pour subsister, ils dévoient leurs compétences. Si la science ne peut plus rien pour vous, il vous reste un recours, un seul : l’Agence tous risques.

 

Personnages

Colonel John « Hannibal » Smith
[Amateur de déguisements en tous genres et cerveau de l'équipe ; auteur de la célèbre réplique "j'adore quand un plan se déroule sans accrocs"...]

Colonel Jean « Hannibal » Martin (aka Jacques Duran)

Jean Martin est l’animateur du site Pensée-Unique, repaire favori des climato-sceptiques français. Il a agité la blogosphère en entretenant le mystère sur son identité. Sous le pseudo de Jean Martin se cache Jacques Duran, directeur de recherches au CNRS à la retraite, spécialiste de la physique des poudres et des grains… domaine dont le lien avec le climat saute bien évidemment aux yeux. Non content d’être un fatras de tout ce qui peut nuire au GIEC et contribuer à la désinformation, Pensée -unique est également une atteinte au bon goût visuel.

Incontestablement un bon plan pour le climatoscepticisme que d’avancer masqué sur la toile. Heureusement, les plans d’Hannibal ne se déroulent généralement pas comme prévu.

 

Lieutenant Templeton « Futé » Peck

[logisticien de la bande, c'est un baratineur hors pair ; grand séducteur, il mène un train de vie luxueux et aime les belles voitures...]

Lieutenant Luc « Futé » Ferry

Doit-on vraiment présenter l’immense philosophe de plateau qu’est Luc Ferry ? Cet ancien ministre de l’Education et de la Recherche est une recrue de choix pour l’Agence. Intime des Bogdanov, promoteur des ouvrages de Jean Staune, il ne pouvait qu’affirmer sa profonde compréhension de la science en rejoignant les rangs du climatoscepticisme et en défendant les œuvres d’Allègre. Côté réseau, c’est bingo: le carnet d’adresses du salonnard est fourni en adresses de tous bords et en bons plans variés, comme celui qui consiste à être payé 4500 € par mois pendant 14 ans pour un poste d’enseignant à Paris Diderot sans jamais y avoir mis un orteil.

Un sacré recrutement pour l’Agence, mais sans doute pas très fiable: ces derniers temps, notre petit futé s’ingénie à se démarquer du sarkozysme pour se dégotter une nouvelle auberge.

 

Capitaine Henry M. « Looping » Murdock
[pilote émérite, très cultivé, il est aussi interné pour une folie galopante : il s'identifie à des personnages fictifs, a des hallucinations et parle à un chien invisible...]

Capitaine Vincent « Looping » Courtillot

Vincent Courtillot, désormais ex directeur de l’Institut de physique du globe de Paris, aurait pu être professeur de grec ancien. Il a finalement mené une brillante carrière de géophysicien avant de se prendre pour Mr Soleil. Il s’est brûlé les ailes en cherchant à démontrer une corrélation entre géomagnétisme, activité solaire et variation des températures moyennes de la Terre, courbes truquées à l’appui. Ses pairs ont vilipendé ses méthodes et ses erreurs de débutants mais n’ont pas réussi à le ramener au sol : Courtillot plane, persuadé que la Terre est plate et noire, tout comme il était convaincu du rôle prééminent du volcanisme dans la disparition des dinosaures.

Capable d’affirmer que le bouquin de son mentor Allègre « ne paraît contenir que des choses exactes », Vincent « Looping » Courtillot court probablement les castings pour le remake de Y a-t-il un pilote dans l’avion.

 

Sergent Bosco B.A Barracus « Barracuda »
[le gros bras de service, phobique des engins volants, constamment en trains de se chamailler]

Sergent Claude Allègre « Barracuda »

Oui, il aurait sûrement voulu être le chef, mais un ex-éléphant ne saurait jouer Hannibal, fût-il  doté d’un égo de la taille du massif alpin, et le rôle de Barracuda colle admirablement à son style tout en finesse. Ses gros bras lui permettent de lutter contre la force centrifuge de l’âge, qui l’éloigne inexorablement du pouvoir : amiante, mammouth, climat, nucléaire, crise de l’euro…, notre « Barracuda » de la science est prêt à castagner tout ce qui bouge dans les médias pour exister. A condition d’être seul contre tous, tel un Galilée des temps modernes. Aimant cogner à grands coups de pavés, il tient son chef d’œuvre avec L’imposture climatique : “la quantité de torsions de la réalité, de mensonges directs ou par omission, de calomnies et de méchancetés imprimées par centimètre carré de papier y est étourdissante” juge un Stéphane Foucart admiratif ; sa phobie de l’exactitude est telle qu’il arrive à citer des sources en se trompant sur le nom de l’auteur, le nom de la revue et la date de la publication !

Une performance qui lui vaut sans doute de bénéficier de la perpétuelle brosse à reluire de médias complaisants… Mais nous devrions malgré tout en profiter, avant qu’il se mette à la littérature érotique…

 

 

une vision caricaturale de l’évolution (hs#2 : PEARL JAM, Do the Evolution)

Ralentissons quelque peu le tempo mais pénétrons plus franchement en territoire scientifique pour ce deuxième opus de Headbanging science avec le morceau-programme Do the Evolution, de Pearl Jam.

 

headbanging science,la rubrique musicale des titres qui ont (presque) un rapport avec la science : #2 PEARL JAM – DO THE EVOLUTION

 

Vocalement, on préfèrera une version live, celle de l’album Live on 2 legs, par exemple, où Eddie Vedder, parolier et chanteur du groupe, atteint vraiment des sommets, mais le clip se laisse regarder et véhicule quelques idées assez intéressantes à décrypter.

L’évolution est expédiée dans les 30 premières secondes du clip, grâce à un combo décisif : division cellulaire / poisson / dinosaure / gentil singe – méchant singe / homo sapiens… Et nous voilà aux croisades, prélude à une longue chaîne d’atrocités, plutôt bien mises en cartoon par l’auteur de comics Todd McFarlane (Spawn).

Parmi les commentaires sur le clip glanés ci et là figurait celui-ci : « la quintessence de la représentation de l’évolution ; il résume ce que bien des discours de vulgarisation auraient du mal à faire ressortir en quelques minutes ». Ah bon ?

 

 

Passons sur les images et les raccourcis utilisés pour illustrer l’évolution de la vie. Attardons nous plutôt sur la vision de la nature humaine que véhicule le clip. Elle est a minima très caricaturale si ce n’est totalement obsolète : en substance, la nature humaine est foncièrement mauvaise ; parvenu « au sommet de l’évolution » (I’m ahead, I’m a man,I’m the first mammal to wear pants, yeah, chante Vedder), l’homme s’arroge tous les droits, à commencer par celui d’annihilier son prochain ainsi que toutes les autres espèces.

 

Au vu du clip, difficile de donner tort à cette vision. En ayant à l’esprit qu’elle est purement sociale et politique et, donc, sans grand fondement scientifique.

Dans l’essai Dix mille actes de gentillesse (in Comme les huit doigts de la main), Stephen J. Gould décortique admirablement ce complet décalage entre faits et interprétation sociale, grâce au concept d’asymétrie des conséquences :

« Alors pourquoi la plupart d’entre nous ont-ils l’impression que les gens sont si agressifs et de façon si intrinsèque ? La réponse, je crois, est dans l’asymétrie des conséquences – c’est le côté vraiment tragique de l’expérience humaine. Par malheur, un seul incident violent peut aisément annuler, dans notre perception, dix mille actes de gentillesse, et nous pouvons facilement oublier la prédominance de la gentillesse par rapport à l’agression, en confondant conséquences et fréquence. »

Une fois dissipée l’équivoque, on aura compris que Do the Evolution nous parle moins de science que de projet politique. Vedder déclarait : « Cette chanson s’adresse à tous ceux qui sont ivres de technologie, qui pensent qu’ils sont la forme de vie dominante de cette planète. » Il ajoutait qu’elle était sa chanson préférée sur l’album Yield, « parce qu’elle porte en elle la philosophie dont est issue ce disque ». A savoir, beaucoup d’inspirations anti-tout (guerres, religions, génocides, racisme, misogynie, technologies…), tirées de la lecture du roman Ishmael de Daniel Quinn.

Daniel Quinn est un écrivain, éco-philosophe et futurologue (sic) américain qui a inspiré les mouvements d’anarchisme vert et d’anarcho primitivisme, mouvements (je m’autorise à les confondre, ils en seraient certainement furieux) qui, partant du principe que la terre ne peut pas nourrir six milliards d’habitants (Quinn est sur cette ligne), en arrivent à prôner le rejet de la domestication de l’environnement (agriculture et élevage), le rejet de la science moderne et mécaniste, la critique de la technologie (ce qui va probablement au-delà de la pensée de Quinn)…

Face à ces dérives idéologiques, on pourra rappeler deux choses :

  • Qu’il n’existe pas de séparation entre technologie et vie « naturelle » : la vie « naturelle » est indissociable de l’acte de modifier son environnement, caractéristique de l’espèce humaine comme du castor
  • Que la gentillesse et la violence font toutes deux partie de notre nature, pour reprendre Gould. Mais que la première est plus fréquente que la première : « la stabilité sociale règne presque tout le temps et doit nécessairement être fondée sur l’écrasante prédominance (bien que tragiquement non reconnue) des actes de bienveillance, ce qui veut dire que ce dernier comportement est donc notre attitude préférée la plus habituelle, presque tout le temps. »

Lorsque l’on googlise « Eddie Vedder » et « Charles Darwin » (ce qui n’arrive quand même pas souvent), on ne trouve qu’un point commun entre les deux hommes : tous deux font prétendument partie des célébrités végétariennes !

Sauf que c’est faux dans le cas de Darwin. Décidément, Do the Evolution n’a donc qu’un rapport très lointain avec l’évolution…

Mais peu importe, c’est une putain de bonne chanson, qui a réussi l’exploit en son temps d’intégrer les charts américains et canadiens alors qu’elle n’était même pas sortie en single !

Les lyrics

Do the Evolution

Woo..

I’m ahead, I’m a man
I’m the first mammal to wear pants, yeah
I’m at peace with my lust
I can kill ’cause in God I trust, yeah
It’s evolution, baby

I’m at piece, I’m the man
Buying stocks on the day of the crash
On the loose, I’m a truck
All the rolling hills, I’ll flatten ‘em out, yeah
It’s herd behavior, uh huh
It’s evolution, baby

Admire me, admire my home
Admire my son, he’s my clone
Yeah, yeah, yeah, yeah
This land is mine, this land is free
I’ll do what I want but irresponsibly
It’s evolution, baby

I’m a thief, I’m a liar
There’s my church, I sing in the choir:
(hallelujah, hallelujah)

Admire me, admire my home
Admire my son, admire my clones
‘Cause we know, appetite for a nightly feast
Those ignorant Indians got nothin’ on me
Nothin’, why?
Because… it’s evolution, baby!

I am ahead, I am advanced
I am the first mammal to make plans, yeah
I crawled the earth, but now I’m higher
2010, watch it go to fire
It’s evolution, baby
Do the evolution
Come on, come on, come on

Lyrics : Eddie Vedder / Music : Stone Gossard

Do the evolution with Pearl Jam

18 ! v’là Roswell (hs#1 : MEGADETH, Hangar 18)

Pour inaugurer et donner le ton de cette rubrique, envolons-nous directement pour la quintessence du fait scientifique avéré : la créature de Roswell, avec Hangar 18, un des trois meilleurs morceaux du meilleur groupe de thrash de tous les temps, Megadeth.

headbanging science,la rubrique musicale des titres qui ont (presque) un rapport avec la science : #1 MEGADETH – HANGAR 18

 

 

 

Le titre lui-même fait référence à un hangar où furent stockés les morceaux de l’infortunée créature (hangar moins connu, pour d’obscures raisons logistiques, que la fameuse zone 51). Les lyrics de Dave Mustaine, contrairement au clip, ne citent pas explicitement Roswell, mais il y est globalement question de cryogénie et de stockage de gentils E.T. par l’”intelligence militaire”, deux termes qui, accolés, ne font guère sens pour Mustaine (souvent taquin avec les uniformes).

En France, pour ma génération, 1995 constitua une grande année télévisuelle : le mercredi 21 juin, Jacques Pradel diffusa pour la 1ère fois au monde, des extraits du film de l’”autopsie” de la créature, dans le 1er numéro de son émission l’Odysée de l’Etrange, sur TF1 (on l’aura deviné). Hangar 18 devient encore plus intéressant (ou intéressant tout court pour qui n’est pas sensible aux furieux soli de guitare qui propulsent ce titre au panthéon du genre) lorsqu’on prête attention au fait qu’il est paru sur l’album Rust in Peace, en 1990… Soit 5 avant que l’inénarrable Pradel ne fasse monter la sauce pour organiser son “scoop du millénaire”.

Car, comme le montre Michel de Pracontal, dans “L’imposture scientifique en dix leçons”, le show de Pradel est une tentative délibérée de créer l’événement en réactivant une rumeur qui, en 1995, devrait déjà être morte et enterrée. Roswell illustre la leçon 4 de l’ouvrage de Pracontal, “des médias avec art tu useras”. Les données historiques démontant la rumeur, et connues de tous, sont “superbement ignorées par Jacques Pradel”. Ce qui va se jouer dans son émission (qui fort justement, aura une durée de vie assez courte), n’a bien entendu aucun rapport proche ou lointain avec des faits quelconques. C’est au contraire la démonstration de la toute puissance des médias de l’image (et ce dès avant l’explosion d’internet, qui n’en est alors qu’à ses balbutiements) et de leur aptitude à créer leur propre mythologie et leur propre discours de “réalité” sans se soucier aucunement de faits.

Alors quitte à faire de l’entertainment, mieux vaut suivre Mustaine.

Les lyrics :

Hangar 18

Welcome to our fortress tall
I’ll take some time to show you around
Impossible to break these walls
For you see the steel is much too strong
Computer banks to rule the world
Instruments to sight the stars

Possibly I’ve seen to much
Hangar 18 I know too much

Solo – Friedman

Foreign life forms inventory
Suspended state of cryogenics
Selective amnesia’s the story
Believed foretold but who’d suspect
Military intelligence
Two words combined that can’t make sense

Possibly I’ve seen to much
Hangar 18 I know too much

Solo – Friedman
Solo – Friedman

Solo – Mustaine
Solo – Friedman
Solo – Mustaine
Solo – Friedman
Solo – Mustaine

Music & Lyrics – Mustaine

Enter Megadeth cyber army