Le christianisme nuit-il à la biodiversité ?

La religion joue-t-elle un rôle en matière de biodiversité ? Voilà une problématique apte à m’extirper de ma torpeur postprandiale ! Une équipe de biologistes de Stanford a récolté pendant 3 ans une foule de données sur les us et coutumes en matière de chasse de 23 communautés d’Indiens d’Amazonie appartenant aux ethnies Macuxi et Wapishina, vivant au Guyana. L’objectif des chercheurs était de déterminer comment les croyances religieuses indigènes et chrétiennes de ces communautés pouvaient influencer leurs tabous alimentaires. Et partant, en quoi elles pouvaient bénéficier à certaines espèces ou au contraire les mettre en péril. Leurs résultats, publiés en décembre 2012 dans Human Ecology1, montre que la question n’est pas si saugrenue qu’elle en a l’air, mais que la réponse est loin d’être simple.


Carte des communautés Wapishana et Macuxi étudiées

Carte des communautés Wapishana et Macuxi étudiées

 De 2007 à 2010, les chercheurs ont recueilli des données socioéconomiques quantitatives auprès de 1774 foyers (environ 9000 personnes), afin de déterminer quelle étaient leur affiliation religieuse, leur source de protéines principale, si un ou plusieurs membres du foyer proscrivaient la consommation de viande, et si oui, de quelle espèce et pourquoi, en considérant aussi bien les animaux sauvages que domestiques. Des données qualitatives sur les pratiques de chasse et celles des shamans ont complété ce corpus.

 15 des 16 appartenances religieuses répertoriées ont été regroupées en 3 catégories : « cultes établis » (catholiques et anglicans, 73 %), évangélistes (20 %) et adventistes du septième jour (3 %). Les témoins de Jéhovah et les « sans appartenance » et les « mixtes » ont été exclus.

Sources de protéines

Sources de protéines

 La viande (sauvage ou domestique) représente la source de protéines principale dans moins de la moitié des cas. Dans chaque village, la proportion de foyers dont au moins un des membres évite de consommer de la viande délibérément est extrêmement variable : de 0 % à 98 %, avec une moyenne à 38 %. Pour 77 % des foyers concernés, le tabou alimentaire lié à la viande s’explique par la peur des maladies (les « allergies », selon la terminologie indigène). Les espèces les plus communément évitées sont le tapir du Brésil, le daguet gris (un cervidé), le porc domestique, des tortues et le capybara (le plus gros rongeur vivant). De façon curieuse, les primates ne font pas partie des tabous alimentaires, mais ne sont pas chassés pour autant.

La nature exacte de l’« allergie » redoutée par les Indiens est de nature spirituelle. Ils craignent le « maître » de l’animal : le « maître » des daguets est par exemple réputé être particulièrement mauvais envers les jeunes enfants. Pour ces ethnies, le shaman est le seul à même de soigner ces « allergies », fournir la prière appropriée pour apaiser le « maître » et prodiguer des conseils sur les animaux que l’on peut consommer et ceux qu’il vaut mieux éviter.

Le tapir du brésil, en tête des espèces tabou

Le tapir du brésil, en tête des espèces tabou

L’évangélisation de ces ethnies, à partir du 17e siècle et surtout depuis le 19e siècle, a d’ores et déjà profondément modifié leurs systèmes de croyances, puisque, en fonction des villages, les visites au shaman se sont réduites (de 0 % des foyers à 38 % au cours de l’année écoulée, dans le cas présent). Mais elle pourrait influencer bien plus que les modalités de prière et concourir à aussi à modifier la biodiversité, selon les chercheurs.

Le tableau d’ensemble n’est toutefois pas clair à saisir, car les situations varient en fonction de l’appartenance cultuelle. Ainsi, 87 % des foyers adventistes déclarent avoir des tabous alimentaires, contre 32 et 34 % pour les évangélistes et les « cultes établis ». Dans le détail, ces tabous diffèrent d’un culte à l’autre et par rapport aux prescriptions traditionnelles des shamans. Alors que ces derniers prohibent un tiercé porc domestique / viande de brousse / poissons sans écailles, les anglicans et catholiques boycottent tapir / daguet / tortues, les évangélistes un trio proche tapir / daguet / capybara, et les adventistes se démarquent en prohibant porc / tapir / poissons sans écailles.

Au-delà de la difficulté à établir une carte si vous souhaitez ouvrir un resto dans les parages, cet imbroglio diététique a des conséquences pratiques en matière de biodiversité. Contrairement à ce qu’on aurait pu craindre, la disparition partielle et contrainte de la pratique shamanique n’entraîne pas celle des tabous alimentaires, qui subsistent, même modifiés ou atténués, au sein des populations.

Christianisme:  le tapir lui dit merci

Christianisme: le tapir lui dit merci

Une espèce comme le tapir peut s’en réjouir. Étant donné son faible taux de reproduction et sa sensibilité aux chasses excessives, le changement culturel affectant les ethnies qui le consomment aurait pu conduire à une surexploitation fatale.

Dans d’autres cas, les effets environnementaux sont plus complexes. La pression de chasse peut avoir été transférée sur d’autres espèces, domestiques ou sauvages, lesquelles peuvent ou pas la supporter. Les conséquences de ces transferts ne sont pas étudiées dans la publication de Human Ecology, qui se borne à suggérer que les tabous alimentaires constituent un outil additionnel de gestion des ressources. Dans un commentaire, José M. V. Fragoso, auteur du papier et responsable du laboratoire ayant conduit l’étude, souligne que la disparition des shamans conduit les communautés à chasser dans de vastes territoires autrefois associés à des entités spirituelles et qui constituaient de facto des sanctuaires dans lesquels les animaux pouvaient se reproduire et élever leurs jeunes. Sur la base de ses observations de terrain, Fragoso estime que le nombre d’animaux non tabous tués est en augmentation, en particulier dans ces zones qui ne sont plus protégées. La biodiversité dans la région se trouve donc bien impactée par l’importation et l’essor de religions extérieures, dans des proportions que de futurs travaux permettront de préciser.

 

  1. Jeffrey B. Luzar, Kirsten M. Silvius, Jose M. V. Fragoso. Church Affiliation and Meat Taboos in Indigenous Communities of Guyanese Amazonia. Human Ecology, 2012; 40 (6): 833

la naissance de la mort (hs#23 DEATH, Open Casket)

Peut-on passer de l’homme de Néandertal à Maurice Blanchot grâce au métal extrême tout en réglant deux trois futilités telles que l’apparition de la conscience de la mort et de la religion ? Ben oui, pourquoi cette question ? C’est le headbanging science ici, on en a vu d’autres. Ouvrons ce joli cercueil fourre-tout sans plus attendre.

 

 

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Death est un groupe de… ? Death. Bien joué.

C’est même l’inventeur du genre, ce qui permet pour une fois de s’y retrouver facilement dans la phylogénie du métal extrême. Fondé par le guitariste chanteur Chuck Schuldiner en 1983, Death publie en 1988 son deuxième album, délicatement intitulé Leprosy, dont est issu le morceau Open Casket, que voici ici interprété à Toronto 1990, dans une des rares vidéos audibles (avec en bonus Denial of Life, vous êtes vraiment gâtés)  :

Open Casket – « cercueil ouvert », donc.  De quoi peut-il bien être question ? Certainement de trucs bien gore, à l’image des titres du sanglant premier album (Zombie Ritual ; Mutilation ; Regurgitated Guts etc.) ?

Raté. Chuck Schuldiner a très vite délaissé le trip postadolescent série Z pour passer à des sujets plus matures, questionnant notamment la nature de l’être humain, ses relations avec les autres et ses sentiments. Oui, j’ai bien écrit ‘sentiments’.  En l’occurrence ceux qui étreignirent le chanteur devant le cercueil d’un défunt cher, son frère (c’est le sujet de la chanson). Ne vous y trompez pas, les hurlements entendus dans la vidéo ne sont pas inhumains. Ils sont ceux d’une émotion intense face à la mort qui est même foutrement humaine.

 

 

Comportements altérés chez les animaux

Vous me direz, beaucoup d’animaux adoptent un comportement particulier lorsqu’ils sont confrontés à la mort de leurs congénères. C’est vrai des chimpanzés, dont les mères peuvent gardent par exemple le corps de leur enfant décédé pendant des jours, jusqu’à ce que la dépouille se momifie. Regardons le jeune Fokayé jouer avec le dépouilles de son frère ou de sa soeur, conservée par la mère pendant 68 jours ; les images de ce type d’attitude sont troublantes :

Je ne pense toutefois pas qu’elles soient bouleversantes. Ni qu’elles doivent être interprétées comme un comportement comparable à celui des humains, qui serait l’indice d’une véritable conscience de la mort. Sur ce sujet, il semble indispensable de tracer la frontière entre perception et représentation. Certains animaux perçoivent un changement de statut du corps de l’individu qu’ils connaissent (ce qui autorise Youki à manger mémère) et ont comportement altéré, signe d’incompréhension, de manque affectif et de stress. Mais ils n’ont ni conception de la mort, ni représentation du défunt dans un quelconque au-delà, et corollairement pas de rituel funéraire.

 

Le puits aux ossements

Ceci posé, depuis quand l’homme suit-il de tels rituels ?

Le traitement rituel des morts chez les humains semble apparaître tardivement. Tout au moins si l’on se réfère aux seules traces que nous en ayons, les sépultures. Traces fragiles s’il en est puisque la préservation du squelette en connexion est un critère qui ne se suffit pas à prouver l’inhumation volontaire et que d’autres indices pouvant être appelés en renfort de cette interprétation, tels que l’aménagement de la sépulture, des traces d’ocres ou des objets accompagnant le corps, restent sujets à caution, ainsi que nous allons le voir.

Le gisement de la Sima de los Huesos à Atapuerca (Espagne) a livré quelque 30 squelettes de l’espèce Homo heidelbergensis, précurseur de Néandertal (notez bien ce détail). Datés d’au moins 300 000 ans, ces pré-Néandertaliens, essentiellement des jeunes adultes, auraient été jetés intentionnellement dans une cheminée verticale de 13 m. La présence de tant de restes humains concentrés dans une petite bande sédimentaire ne semble pas due à un événement catastrophique et pourrait être la plus ancienne sépulture connue. Relevons tout de même qu’un enterrement à la mode los Huevos devait ressembler à ça (personnellement, ça ne me ferait pas envie) :

 

Funérailles au Paléolithique moyen

Les plus anciennes sépultures volontaires font leur apparition à partir de 100 000 ans. Elles sont liées à l’Homme de Néandertal en Europe et aux premiers humains anatomiquement modernes au Proche-Orient.

Le phénomène semble apparaître en divers lieux, mais pas d’un seul coup ni partout.  Il n’y a pas de discrimination d’âge ni de sexe chez les défunts et les corps sont déposés le plus souvent sur le côté, en position « fœtale », la direction est-ouest paraissant privilégiée.

Les plus anciennes sont celles des grottes de Skhul (100 000 ans) et Qafzeh (92 000 ans), en Israël. Skhul a livré 10 squelettes (7 adultes et 3 enfants) ; tous étaient en position repliée, dans des fosses de faible profondeur.  C’est le site le plus ancien, mais c’est celui de Qafzeh, qui a livré  25 squelettes, qui va retenir notre attention. En particulier Qafzeh 11, sépulture ayant livré le squelette d’un adolescent, décrit ainsi par Bernard Vandermeersch, son découvreur : “Il était couché sur le dos, les mains ramenées de chaque côté du cou et on voit l‘hémi-massacre d’un grand cervidé qui a été déposé sur les mains, en travers de la partie supérieure du thorax” (voir ci-dessous). Nous sommes donc en présence d’une offrande faite au mort.

Intéressons nous maintenant aux deux sites plus récents : Kébara (Israël) et La Ferrassie (Dordogne). La sépulture de Kebara remonte à 60 000 ans et se distingue par la mise en évidence d’un rituel impliquant le prélèvement post-mortem du crâne d’un défunt longtemps après enfouissement (une molaire supérieure déchaussée en atteste). Celle de La Ferrassie est une nécropole de sept sépultures (dont 3 enfants, un nourrisson et un fœtus) datée de 35 000 ans, qui montre des signes manifestes de protection des corps (l’une des sépultures étant même couverte par une dalle).

 

 

L’acte de croire, le propre de sapiens ?

Kebara-La Ferrassie-Qafzeh. Que nous dévoilent ces trois sites archéologiques associés à des sépultures ?

La chronologie n’est pas celle que l’on pourrait imaginer : Qafzeh est plus ancien (92 000 ans), mais attesterait une capacité cognitive supplémentaire, matérialisée par la présence d’une offrande. La clé de lecture réside donc dans l’identité des défunts : les sépultures de Kebara et de La Ferrassie appartiennent à l’Homme de Neandertal, celle de Qafzeh à Homo sapiens.

Tout ceci amène l’anthropologue Albert Piette à proposer une hypothèse passionnante sur l’origine de l’acte de croire, qui serait associée aux seuls Hommes modernes. Je vous en conseille la lecture complète, mais la voici résumée à très gros traits :

1. Préalable méthodologique sur les offrandes : la plupart des interprétations allant dans ce sens ont été invalidées (mais pas Qafzeh !), ainsi que le rappelle Albert Piette :

Des études récentes, très techniques, de ces éléments constituent d’ailleurs une remise en cause de la plupart de ces interprétations et réduisent à presque rien le nombre de «faits positifs» ou indiscutables (Soressi & D’Errico 2007). Les ossements gravés ou percés qui ont été découverts dans plusieurs sépultures néandertaliennes l’auraient été à la suite de processus naturels, des incisions régulières qui ont été repérées sur des pierres ne seraient pas dues au travail des hommes, les pollens que d’aucuns associaient à une litière de fleurs auraient été transportés par des animaux.

2. Les animaux attendent l’animation du corps du défunt, s’émeuvent de son absence, continuent à se comporter envers lui comme s’il était vivant.

3. Par rapport à cela, l’homme de Kebara ou de La Ferrassie (Néandertal, donc), a une perception nette de la mort comme processus irréversible (le corps est enterré) : l’homme de Kebara, en prélevant le crâne du défunt, ne sépare pas le mort enterré de son état de mort (difficile d’évoluer sans crâne même dans l’au-delà !) ; celui de La Ferrassie maintient l’attention accordée à la personne vivante (protection de l’espace funéraire) : c’est un premier signe de “comme si” (comme si c’était encore «lui»), mais qui n’indique pas encore que le mort continue à « vivre ».

4. Avec l’homme de Qafzeh (Homo sapiens, donc), l’apparition de l’offrande signe une tout autre compétence cognitive : l’acte de croire (que le mort est d’une manière ou d’une autre toujours vivant) ; voici ce qu’en dit Piette :

Dans ce cas, le mort n’est plus présent comme mort sur le mode du comme si en tant qu’ancien vivant, mais comme toujours vivant. Vivant où ? Il est bien sûr prématuré de penser qu’il y a là une représentation d’un autre monde vers lequel la mort serait un passage. Disons que cette nouvelle forme de vie du mort reste indéterminée. Ce lieu pourrait d’ailleurs être considéré comme proche, mais invisible. Il est peut-être d’ailleurs aussi indéterminé pour ceux qui ont placé le bois de cervidé sur le cadavre. Les offrandes d’objets spécifiques laissent penser qu’il ne s’agit pas de faire pendant quelques instants comme si le mort était encore vivant, mais plutôt qu’elles sont destinées à un mort comme revivant.

 

Naissance de la religion  ?

L’hypothèse ne séduira pas forcément, la mode étant à la réhabilitation de Néandertal. N’oublions pas non plus qu’elle ne repose que sur trois sites.

Toutefois, elle résonne plutôt bien avec ce que la psychologie évolutionniste nous dit de l’apparition de la religiosité : sapiens se serait distingué à un moment donné par une plus grande souplesse cognitive, qui lui a permis de produire des inférences  à partir de prémisses non réelles, de réaliser des scénarios en utilisant des données imaginées, ce qui est exactement au centre de la proposition religieuse : tout sonne presque vrai, mais l’on accepte le presque et l’on oublie que c’est bizarre (Piette utilise les termes d’hypolucidité ou de relâchement mental pour parler de cette capacité nouvelle induite par une plus grande fluidité cognitive).

 

 

Mort de Death

Et Chuck Schuldiner, le chanteur de Death, dans tout ça ? Était-il croyant ? Il se défendait en tout cas d’être sataniste, changeant la croix inversée qui formait le « t » de Death pour une autre, plus normale. Il ne parvint en tout cas pas à échapper à la camarde et mourut en 2001, des suites d’un cancer au cerveau, qu’il n’avait pu opérer par manque d’argent et grâce à l’excellent système de Santé américain.

Ses textes accomplissent pour lui cette opération singulière sur la mort qui consiste à la renverser en l’impossibilité de mourir et que Maurice Blanchot appela génialement  l’« arrêt de mort », qui n’est autre que l’espace de la littérature – ou du métal extrême.

 

 

 

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Death – Open Casket

Approach the image filled with fear
As the image grows so clear
Future now takes full control
The one whose past you now behold
Touch – the flesh it is so cold
Turn away – you now have been told
Never to return, memories will last
In the future, you’ll think about the past
Never to forget, what you have seen
 
People come to pay respect
Taking pictures of the dead
That is what life comes to be
Once they lived, now they’re deceased
 
Death is oh so strange
The past no one can change
What you can’t predict
Is how long you’ll exist
Open casket – open casket
 
Life will never be the same
Death can never be explained
It’s their time to go beyond
Empty feeling when they’re gone
 
Never to return, memories will last
In the future, you’ll think about the past
Never to forget, what you have seen
What can not be real you now believe

 

le Dieu d’Einstein m’emmerde…

Sinon j’avais ça, comme titre : Albert avec un A, comme Athée… Mais non, finalement, car ça ne disait pas suffisamment mon exaspération à la lecture d’un billet d’un blog par ailleurs très brillant, intitulé le Dieu d’Einstein.

Je comprends que les scientifiques en arrivent à dire n’importe quoi lorsqu’ils en viennent à parler de Dieu. Cela ne devrait pas autoriser les commentateurs (ou les éditeurs : voir l’utilisation marketing faite de Hawking) à en faire de même pour embrouiller encore plus l’auditoire. Tout cela est malheureusement commun et ne m’aurait peut-être pas donné envie d’y mettre bon ordre si le billet en cause n’avait pas commencé par un pontifiant “L’étude de texte est un art qui se perd”, donnant à penser que l’auteur prenait la peine, pour chaque citation, de descendre nuitamment à la cave compulser quelque manuscrit poussiéreux à la lueur d’une chandelle et au milieu des souris.

L’argumentation de l’auteur de ce billet est simple : Einstein n’était pas athée. D’une parce qu’il disait croire au Dieu de Spinoza (ce qui le range dans le camp des panthéistes). Et de deux parce qu’il a souventefois cité Dieu, de façon plus ou moins sibylline (certaines nourrissant des exégèses radicalement opposées).

Les citations d’Einstein ne constituent pas un argument recevable. Quiconque a pu récemment m’entendre brailler “nom de Dieu !” après m’être fait tomber une bûche sur le pied peut en tirer des conclusions sur le bilan énergétique de ma maison, mais certainement pas sur mes convictions religieuses. Plutôt que de tomber dans le piège de l’interprétation des einsteinismes, je m’en tiendrai aux sages paroles de deux des “Four Horsemen” (ou de la “Unholy Trinity” selon votre préférence), Richard Dawkins et Christopher Hitchens, spécialistes ès religieusetés.

je vous ai fait le coup du “Dieu est relatif” ?

 

Commençons par l’argumentation de Dawkins sur le panthéisme, qui me paraît salutaire.

Les panthéistes ne croient pas en un Dieu surnaturel. Ils utilisent le nom de Dieu comme synonyme non surnaturel de la Nature ou de l’Univers, ou pour désigner les lois qui les gouvernent. Comme l’analyse Dawkins, “On a de bonnes raisons de croire que les célèbres einsteinismes sont panthéistes et pas déistes, et sûrement pas théistes.” Mais on ne peut pas s’arrêter à ce constat. Que peut-on en déduire ?

Le panthéisme est, pour Dawkins, de l’athéisme enjolivé. Et, incidemment, une fioriture qui pose certainement beaucoup plus de problème qu’elle n’en résout.

Einstein utilisait Dieu dans un sens purement poétique, métaphorique, annonce Dawkins. “Il en va de même de Stephen Hawking, et pour la majorité de ces physiciens qui, à l’occasion, glissent dans le langage de la métaphore religieuse.”

L’admiration sans borne d’Einstein pour l’univers n’est donc pas plus “religieuse” que l’admiration de Dawkins pour la nature, à moins d’imaginer que ce dernier soit religieux contre son gré… (mais faire de l’évolutionnisme une religion est un argument créationniste, et ça commence à nous emmêler les pinceaux…) .

Je suis maintenant obligé de citer Einstein, mais par la voix de Dawkins, qui rebondit sur la phrase suivante :

“Sentir que derrière tout ce que peut appréhender l’expérience, se trouve un quelque chose que notre esprit ne peut saisir et dont la beauté et le sublime ne nous touchent qu’indirectement sous la forme d’un faible reflet, c’est le religieux. Dans ce sens, je suis religieux. “

Ce après quoi Dawkins confesse :

“Dans ce sens, moi aussi je suis religieux, avec la réserve que “ne peut saisir” ne signifie pas nécessairement “insaisissable à tout jamais”. Oui vous avez bien lu : Richard Dawkins, lui-même est religieux… une fois que l’on a vidé le mot de tout son sens, n’importe qui peut l’être, même lui.

Si les mots sont vides de sens, à quoi bon les utiliser ? A-t-on aujourd’hui besoin du panthéisme d’Einstein ou du Dieu d’Einstein ? Ne peut-on pas tout simplement admettre l’Athéisme d’Einstein – avec un grand A, comme Albert ?

Je rejoins absolument Richard Dawkins au bout de son raisonnement :

“Si l’on ne veut pas que le nom de Dieu perde son utilité, il faut l’employer dans le sens dans lequel les gens le comprennent en général : pour définir un créateur surnaturel. On doit appliquer au sens religieux la même discipline.” (…) “Je préfère ne pas dire religieux, car c’est trompeur. Et cette confusion est destructrice car pour la grande majorité des gens, “religion” implique “surnaturel (…) Confondre volontairement les deux relève à mon avis de la haute trahison intellectuelle.”

Du coup, je n’ai rien dit de Christopher Hitchens. En fait, le cas Einstein ne l’intéresse pas trop. Mais il livre par contre quelques clés additionnelles sur le panthéisme.

Christopher Hitchens vu par Neil Davies et Crispian Jago

Voici l’anathème qui fut prononcé contre Spinoza, le 27 juillet 1656 par le conseil des rabbins d’Amsterdam ; c’est délicieux :

avec le jugement des anges et des saints nous excommunions, excluons, maudissons et anathématisons Baruch de Espinoza, avec le consentement des anciens et de toute cette sainte congrégation, en la présence des livres saints : par les 613 préceptes qui y sont inscrits, avec l’anathème par lequel Josué maudit Jéricho, avec la malédiction qu’Elisée lança sur les enfants, et avec toutes les malédictions qui sont écrites dans la loi. Maudit soit-il le jour et maudit soit-il la nuit. Maudit soit-il dans son sommeil et maudit soit-il éveillé, maudit soit-il en sortant et maudit soit-il en entrant. Le Seigneur ne lui pardonnera pas, la colère et la furie du Seigneur seront désormais animées contre cet homme, et lanceront sur lui toutes les malédictions qui sont écrites dans le livre de la loi. Le Seigneur détruira son nom sous le soleil et le retranchera pour ses méfaits de toutes les tribus d’Israël, avec toutes les malédictions du firmament qui sont écrites dans le livre de la loi.

 

A la lecture de ce charmant appel au meurtre, on se dit a minima que le fameux Dieu de Spinoza auquel se réfère Einstein ne cadre manifestement pas avec les vues des autorités religieuses de l’époque. Du reste, la théologie chrétienne a elle aussi identifié le panthéisme avec l’athéisme, parce qu’il récuse l’idée d’un Dieu personnel.

Pour compléter le tableau, ce n’est guère mieux du côté des philosophes, tel Hume, qui “propose que professer sa foi en un être suprême parfaitement simple et omniprésent revient en fait à un aveu dissimulé d’athéisme, parce qu’un tel être ne peut rien posséder que nous puissions raisonnablement appeler un esprit ou une volonté.”

On continuera certainement de s’accaparer les einsteinismes de tous côtés. On continuera à évoque le Dieu d’Einstein et celui de Spinoza, quoi que cela puisse signifier. Peu importe, Albert était athée, même si c’est dur à dire.

 

 

 

 

Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie (Pascal)

Certes. Mais ne pourrait-on pas meubler avec autre chose que dieu ?

Le bLoug croit en la Grosse Souris, lui.

 

l’origine des espèces de punks (insane lectures #2)

« Si Charles Darwin était vivant aujourd’hui, je pense qu’il serait très intéressé par le punk-rock » (Greg Graffin, in Anarchy Evolution)

Une certaine remise en cause du dogme et de l’autorité, voilà ce qui lie deux mondes a priori très éloignés l’un de l’autre, celui de la biologie évolutionniste et celui du punk-rock. Il n’y avait qu’une personne pour faire le lien : Greg Graffin, chanteur du groupe Bad Religion depuis plus de 30 ans et par ailleurs Docteur en zoologie et maître de conférence à UCLA à ses heures perdues. Il nous fait le récit de ce grand écart dans Anarchy Evolution (sous-titré Faith, Science and Bad Religion in a World Without god), publié en 2010 par It Books.

L’objet est étrange mais à l’image de la double vie de Greg Graffin, très jeune tombé dans deux marmites en même temps, celle de la musique et celle de la science. Ni véritable autobiographie, ni traité scientifique, ni manifeste punk, ni traité d’athéisme, mais un peu de tout cela en même temps, le livre pourrait facilement rebuter. Grâce à un équilibre de traitement plutôt judicieux et à des ponts savamment jetés entre les deux rives de l’existence compartimentée de l’auteur, il parvient plutôt à séduire.

Comment faire la cigale et la fourmi en même temps

Greg Graffin a déclaré avoir voulu devenir chanteur dès l’âge de neuf ans. Sa vocation scientifique, elle, nait véritablement avec un livre, Origins, de Richard Leakey et Roger Lewin, que sa mère lui offre au moment où, encore adolescent, il forme Bad Religion. Les dernières phrases de Origins lui inspireront l’un des titres du premier album de Bad Religion, “We’re Only Going to Die from Our Own Arrogance”. Le décor est planté. Greg Graffin mènera ses deux carrieres de front, sans jamais sacrifier l’une à l’autre.

Punk et enseignement, évolution biologique et evolution culturelle, la tentation du parallèle abusif est forte, mais Graffin met en garde son lecteur : “It’s important to note that the two processes [evolutionary biology and history of punk music] are quite different.” Difficile toutefois pour quelqu’un d’immergé dans les deux mondes de ne pas faire quelques rapprochements assez bLouguiens dans l’esprit, comme avec cette vision de son groupe comme organisme en lutte pour la survie :

“I used to envision each Bad Religion concert as a unique environmental opportunity. We could try to increase our popularity trait by singing better songs and giving better performances, in which case our popularity would grow. Or we could suck and lose fans, causing eventual extinction.”

Mais la plupart du temps, Graffin ne mélange pas les genres et parle – sérieusement – d’évolution. Graffin s’adresse à un public de profanes et souhaite faire passer un message plus que des connaissances. Pas de cours théorique structuré, donc, mais quelques notions et exemples distillés ici et là, au gré du récit, entre deux considérations très générales  : un peu d’histoire de la terre et de la lignée humaine, les gênes, des mastodontes, une fourmilière pour montrer que l’anarchie caractérise la nature plutôt que la perfection, et Tiktaalik comme exemple de fossile transitionnel entre deux lignées (poisson et tétrapodes, nantis de métacarpes).

Tiktaalik (Tiktaalik roseae ) : des nageoires avec des épaules, un coude et un poignet. Sans lui, tu ferais comment pour applaudir un concert de Bad Religion ?

Un point de vue naturaliste sur le monde

Forcément, la religion n’est pas en odeur de sainteté chez un auteur scientifique ET punk. Mais Graffin est loin d’être un esprit étroit. Il se définit comme naturaliste plutôt que athée.

Définition qui a le mérite d’être positive :

“I have problems with the word “atheism”. It defines what someone is not rather than what someone is. It would be like calling me an a-instrumentalist for Bad Religion rather than the band’s singer.”

Et surtout, de placer la science au-dessus du lot :

“I don’t promote atheism in my song or when I teach undergraduates. During my lectures about Charles Darwin, for example, I barely mention Darwin’s decisive reason for abandoning theism. Far more important is his theorizing about biological phenomena. The focus of students’ attention at the introductory level, where I teach, should be on the processes and interrelationships found in nature. The debate over whether species are specially created by a deity has only a secondary significance, and ther simply isn’t time to discuss it in introductory biology class.”

L'expérience de la foi - version punk naturaliste

Sans être aussi virulent qu’un Richard Dawkins avec qui il semble avoir quelques accointances, Greg Graffin n’est pas franchement fan du NOMA (principe de non recouvrement des magistères de la science et de la religion, don’t le bLoug aura un jour à causer). Pour lui, pas de raison pour que la religion échappe au crible du questionnement scientifique ; vouloir compartimenter, c’est fuir ses responsabilités et se décrédibiliser.

« Claims made by authorities with the tacit expectation that they should go unchallenged out of reverence to those in power are precisely the kinds of claims I like to investigate and challenge. After all, the basic practice of science requires us to test all claims by the same criteria: observation, experimentation, and verification. If scientists are willing to rule out an entire domain of human life as exempt from their methods, how can they expect anyone to respect those methods ? by trying to protect themselves from a public backlash against their overwhelmingly monist viewpoint, they undercut the very point they are trying to make.”

Même rigueur sur la perspective d’un dialogue avec les créationnistes :

“I am not at all interested in leaving the door open for discussions with advocates of the moderne “intelligent design” movement.”

Portrait du scientifique en jeune punk

A force de faire des conneries, j'ai fini par me faire cravater

Avant d’être le distingué Docteur Graffin, Greg Graffin a commencé jeune punk morveux trainant dans Santa Monica Boulevard, une zone connue pour « ses putes, ses camés défoncés, ses gays en chasse et toutes sortes de punks ».

Très tôt retiré du pit, n’ayant jamais pris de drogue d’aucune sorte (et ça a l’air vrai en plus), Graffin a un côté lisse et intello assez peu en phase avec son milieu (pour faire bonne mesure, il aide tout de même ses potes à se faire leurs shoots…).

Mais cette facette de sa personnalité le sauve probablement de la violence qui va gangréner et annihiler la scène punk du Los Angeles des années 80 pour le précipiter dans les bras rédempteurs de la science.

Le témoignage sur cette transition est intéressant : il montre combien le système éducatif était défaillant en matière d’évolutionnisme.

D’un simple point de vue quantitatif, tout d’abord, avec de maigres heures de cours, dispensés pour la forme :

“As is the case with many high school biology classes, my school downplayed evolution; though it is the key to all of biology, we got only a one-week unit on the topic. So I had to educate myself. I bought a cheap paperback version of On the Origin of Species and set a goal of reading some of it each night before bed”

très tôt, un goût prononcé pour les fossiles

Sur un plan qualitatif également : Graffin explique comment le devoir final qu’il présente à sa classe et qui n’est qu’une suite de contresens sur l’évolution se voit récompensé par les louanges de son professeur :

“I explained to my classmates that evolution was based on competition and that some forms of life were better at living than others. I told the class that all evolution tends toward perfection, and that, despite numerous false starts and dead ends, the most successful and elaborate evolutionary lineage was the human species. I said that all human attributes were originally adaptations to life on the savannah in Africa.”

“Much of what I said in that lecture was wrong. […] But I received an A in that class, and my teacher wrote on my report card “Gave a great talk on evolution”.”

Anarchy in the UCLA – le côté obscur de la science

Le livre laisse quelques regrets, en particulier celui de ne pas aborder la vie universitaire actuelle de Greg Graffin. On peut toutefois lire en creux qu’elle n’a peut-être rien de bien excitant. Graffin effleure le sujet en mentionnant l’anecdote d’une groupie brésilienne qu’il éconduit poliment, parce qu’il doit se lever tôt le lendemain pour partir dans une quelconque expédition dans la jungle. N’importe quelle rockstar normalement constituée s’esclafferait. Mais pour un naturaliste digne de ce nom, si la nature propose, Darwin dispose :

“What kind of man in the prime of his life would turn down the advances of beautiful Brazilian women and instead head out to look at birds, trees, reptiles and amphibians ? But this particular visit was the culmination of a dream that began in high school, when I read Darwin’s The Voyage of the Beagle.”

Autre signe des rigueurs de la vie universitaire, l’expédition en Bolivie à laquelle le jeune Greg Graffin à le plaisir de participer et qui se transforme en un improbable fiasco. Ces passages du livre sont parmi les meilleurs, par leur drôlerie et ce qu’ils disent de la réalité du travail de scientifique.

et là je leur balance Bad Religion pour les amadouer

Dans le cadre d’un projet de réserve naturelle, Graffin est embauché en tant que « collector of birds and mammals ». Il comprend en fait que sa mission consiste à tirer, piéger, étrangler et tuer tout ce qui bouge. L’expédition oscille ensuite entre l’ennui profond et des pics de grotesque dignes de Redmond O’Hanlon (auteur dont le bLoug vous entretiendra prochainement). Un bateau surnommé El Tigre de Los Angeles et flanqué d’un tigre à dents de sabre pour logo, des compagnons taciturnes, dont un Canadien qui aura pratiquement pour seules paroles un résigné ‘What the fuck am I doing here ?’, une rencontre avec des Indiens (« They boarded El Tigre de Los Angeles asi fi they didn’t need permission. I waved and said, “hola! Me llamo Gregorio,” to which they responded, “Missionarios?”), et pour finir, le délitement de l’expédition sur fond de coup d’état et une fuite à bord d’un avion flanqué d’un auto-collant ‘God is my co-pilot’ !

Etre pris pour un missionnaire et devoir son salut au copilotage de Dieu, voilà qui était beaucoup pour le seul chanteur de Bad Religion. Heureusement, Greg Graffin est un être double.

Anarchy Evolution – Faith, Science and Bad Religion in a World Without god, par Greg Graffin & Steve Olson, It Books, Septembre 2010, 304 Pages, $22.99

Une critique de Anarchy Evolution par sceptic.com

Greg et son gang, dans le headbanging science #4 : Bad religion, Ten in 2010

« Si Charles Darwin était vivant aujourd’hui, je pense qu’il serait très intéressé par le punk-rock ».

 

Une certaine remise en cause du dogme et de l’autorité, voilà ce qui lie deux mondes a priori très éloignés l’un de l’autre, celui de la biologie évolutionniste et celui du punk-rock. Il n’y avait qu’une personne pour faire le lien : Greg Graffin, chanteur du groupe Bad Religion depuis plus de 30 ans et par ailleurs Docteur en Paléontologie et maître de conférence à UCLA à ses heures perdues. Il nous fait le récit de ce grand écart dans Anarchy Evolution (sous-titré Faith, Science and Bad Religion in a World Without god), publié en 2010 par It Books.

 

 

L’objet est étrange mais à l’image de la double vie de Greg Graffin, très jeune tombé dans deux marmites en même temps, celle de la musique et celle de la science. Ni véritable autobiographie, ni traité scientifique, ni manifeste punk, ni traité d’athéisme religion, mais un peu de tout cela en même temps, le livre pourrait facilement rebuter. Grâce à un équilibre de traitement plutôt judicieux et à des ponts savamment jetés entre les deux rives de l’existence compartimentée l’auteur, il parvient plutôt à séduire. Son principal atout est de rester simple : Graffin raconte certains événements de sa vie, effectue quelques parallèles, invite à se poser des questions, mais ne cherche ni à en mettre plein la vue ni à donner la leçon.

 

Comment faire la cigale et la fourmi en même temps

 

Greg Graffin a déclaré avoir voulu devenir chanteur dès l’âge de neuf ans. Sa vocation scientifique, elle, nait véritablement avec un livre, Origins, de Richard Leakey et Roger Lewin, que sa mère lui offre au moment où, encore adolescent, il forme Bad Religion. Les dernières phrases de Origins lui inspireront l’un des titres du premier album de Bad Religion, “We’re Only Going to Die from Our Own Arrogance”. Le décor est planté. Greg Graffin mènera ses deux carrieres de front, sans jamais sacrifier l’une à l’autre.

 

Punk et enseignement, évolution biologique et evolution culturelle, la tentation du parallèle abusif est forte, mais Graffin met en garde son lecteur : “It’s important to note that the two processes [evolutionary biology and history of punk music] are quite different.” Difficile toutefois pour quelqu’un d’immergé dans les deux mondes de ne pas faire quelques rapprochements assez bLouguiens dans l’esprit, comme avec cette vision de son groupe comme organisme en lutte pour la survie :

 

Still, it’s hard for me not to draw evolutionary parallels. I used to envision each Bad Religion concert as a unique environmental opportunity. We could try to increase our popularity trait by singing better songs and giving better performances, in which case our popularity would grow. Or we could suck and lose fans, causing eventual extinction. Either way, the similarities seemed obvious to me.”

 

A d’autres moments, le punk sert simplement de métaphore immédiatement audible pour illustrer certains principes de l’évolutionnisme :

 

“Yet DNA is just one part of our biological machinery and is unable to do something on its own. It would be equally shortsighted to give the central role of punk rock to the lyrics of its song, ignoring the musicians and the punk fans who form the collective environment of the punk subculture.”

 

 

Un point de vue naturaliste sur le monde

 

Forcément, la religion n’est pas en odeur de sainteté chez un auteur scientifique ET punk. Mais Graffin est loin d’être un esprit étroit. Il se définit comme un naturaliste plutôt qu’un athée.

 

Définition qui a le mérite d’être positive :

 

“I have problems with the word “atheism”. It defines what someone is not rather than what someone is. It would be like calling me an a-instrumentalist for Bad Religion rather than the band’s singer.”

 

Et surtout, de placer la science au-dessus du lot :

 

“I don’t promote atheism in my song or when I teach undergraduates. During my lectures about Charles Darwin, for example, I barely mention Darwin’s decisive reason for abandoning theism. Far more important is his theorizing about biological phenomena. The focus of students’ attention at the introductory level, where I teach, should be on the processes and interrelationships found in nature. The debate over whether species are specially created by a deity has only a secondary significance, and ther simply isn’t time to discuss it in introductory biology class.”

Anarchy in the UCLA – le côté obscur de la science

 

 

Sans être aussi virulent qu’un Richard Dawkins avec qui il semble avoir quelques accointances, Greg Graffin n’est pas franchement fan du NOMA (principe de non recouvrement des magistères de la science et de la religion, don’t le bLoug aura un jour à causer). Pour lui, pas de raison pour que la religion échappe au crible du questionnement scientifique ; vouloir compartimenter, c’est fuir ses responsabilités et se décrédibiliser :

 

« It may be possible to compartmentalize science and religion so that they seem not to conflict. But avoiding potential conflict between science and religion by not asking the tough questions sidesteps the confrontational spirit of scientific investigation. Claims made by authorities with the tacit expectation that they should go unchallenged out of reverence to those in power are precisely the kinds of claims I like to investigate and challenge. After all, the basic practice of science requires us to test all claims by the same criteria: observation, experimentation, and verification. If scientists are willing to rule out an entire domain of human life as exempt from their methods, how can they expect anyone to respect those methods ? by trying to protect themselves from a public backlash against their overwhelmingly monist viewpoint, they undercut the very point they are trying to make.”

 

Même rigueur sur la perspective d’un dialogue avec les créationnistes :

I am not at all interested in leaving the door open for discussions with advocates of the moderne “intelligent design” movement.”

 

 

Portrait du scientifique en jeune punk

 

Avant d’être le distingué Docteur Graffin, Greg Graffin a commencé jeune punk morveux trainant dans Santa Monica Boulevard, une zone connue pour « ses putes, ses camés défoncés, ses gays en chasse et toutes sortes de punks ».

Très tôt retiré du pit, n’ayant jamais pris de drogue d’aucune sorte (et ça a l’air vrai), Graffin a un côté lisse et intello assez peu en phase avec son entourage (pour faire bonne mesure, il aide tout de même ses potes à se faire leurs shoots…). Mais cette facette de sa personnalité le sauve probablement de la violence qui va gangréner et annihiler la scène punk du Los Angeles des années 80 pour le précipiter dans les bras rédempteurs de la science.

Le témoignage est intéressant : il montre combien le système éducatif était (est toujours ?) défaillant en matière d’évolutionnisme. D’un simple point de vue quantitatif, tout d’abord, avec de maigres heures de cours, dispensées pour la forme :

As is the case with many high school biology classes, my school downplayed evolution; though it is the key to all of biology, we got only a one-week unit on the topic. So I had to educate myself. I bought a cheap paperback version of On the Origin of Species and set a goal of reading some of it each night before bed. I began putting together a library on evolution that today occupies an entire room of my house.

 

Sur un plan qualitatif également : Graffin explique comment le devoir final qu’il présente à sa classe et qui n’est qu’une suite de contresens sur l’évolution se voit récompensé par les louanges de son professeur :

 

I explained to my classmates that evolution was based on competition and that some forms of life were better at living than others. I told the class that all evolution tends toward perfection, and that, despite numerous false starts and dead ends, the most successful and elaborate evolutionary lineage was the human species. I said that all human attributes were originally adaptations to life on the savannah in Africa.”

Much of what I said in that lecture was wrong. […] But I received an A in that class, and my teacher wrote on my report card “Gave a great talk on evolution”.”

 

 

Anarchy in the UCLA – le côté obscur de la science

Le livre laisse quelques regrets, en particulier celui de ne pas aborder la vie professionnelle actuelle de Greg Graffin. On peut toutefois lire en creux qu’elle n’a peut-être rien de bien excitant. Graffin effleure le sujet en mentionnant l’anecdote d’une groupie brésilienne qu’il éconduit poliment, parce qu’il doit se lever tôt le lendemain pour partir dans une quelconque expédition dans la jungle. N’importe quelle rockstar normalement constituée s’esclafferait. Mais pour un scientifique, en quelque sorte, si la nature propose, Darwin dispose :

 

“What kind of man in the prime of his life would turn down the advances of beautiful Brazilian women and instead head out to look at birds, trees, reptiles and amphibians ? But this particular visit was the culmination of a dream that began in high school, when I read Darwin’s The Voyage of the Beagle.”

 

Autre signe des rigueurs de la vie universitaire, l’expédition en Bolivie à laquelle le jeune Greg Graffin à le plaisir de participer et qui se transforme en un improbable fiasco. Ces passages du livre sont parmi les meilleurs, par leur drôlerie et ce qu’ils disent de la réalité du travail de scientifique.

Dans le cadre d’un projet de réserve naturelle, Graffin est embauché en tant que « collector of birds and mammals ». Il comprend en fait que sa mission consiste à tirer, piéger, étrangler et tuer tout ce qui bouge. » L’expédition oscille ensuite entre l’ennui profond et des pics de grotesque digne de Redmond O’Hanlon (auteur dont le bLoug vous entretiendra prochainement) : un bateau surnommé El Tigre de Los Angeles et flanqué d’un tigre à dents de sabre pour logo, des compagnons taciturnes, dont un Canadien don’t l’une des seules paroles sera : ‘What the fuck am I doing here ?’, une rencontre avec des Indiens (« They boarded El Tigre de Los Angeles asi fi they didn’t need permission. I waved and said, “hola! Me llamo Gregorio,” to which they responded, “Missionarios?”) et pour finir le délitement de l’expédition sur fond de coup d’état et une fuite à bord d’un avion flanqué d’un auto-collant God is my co-pilot !

 

Etre pris pour un missionnaire et devoir son salut au copilotage de Dieu, voilà qui était beaucoup pour le chanteur de Bad Religion. Heureusement que Greg Graffin est double.

 

 

 

 

 

 

Anarchy Evolution

Faith, Science and Bad Religion in a World Without god

Greg Graffin & Steve Olson

It Books; Hardcover
On Sale: September 28, 2010
304 Pages / $22.99

 

 

http://www.skeptic.com/eskeptic/11-02-23/

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